Andal
திருப்பாவை

Le Tiruppavai (ou Thiruppavai selon les sources) est traduit en anglais sur . La traduction française présentée ici, due à Vasumathi Badrinathan, est parue aux Éditions  en 2019.

De nombreuses interprétations de ces poèmes classiques sont disponibles sur Internet. Voici celle de la chanteuse carnatique , dont la playlist  regroupe l’ensemble des 30 poèmes.

Parmi les grands courants traditionnels qui constituent le fondement de l’âme hindoue, on compte la tradition bhakti, qui est par nature dévotionnelle et a très certainement proliféré de manière significative en Inde entre le vie et le xiie siècle. Cette tradition, qui a vu des milliers de chanteurs et poètes offrir leurs plus beaux chants de dévotion aux divinités hindoues, se divise en deux grands groupes de saints-poètes-philosophes dans l’Inde du Sud : les Alvars (ceux qui sont immergés dans le divin) et les Nayanmars.

Les Alvars, sont les douze saints-poètes-philosophes qui ont vécu entre le vie et le xe siècle dans l’Inde du sud. Ils ont composé une immense poésie versifiée en l’honneur de Vishnu, le dieu tout-puissant. Ce recueil de quatre mille vers, qui s’intitule le Divya Prabandham, fut transmis au cours des siècles par voie orale. L’étude des Alvars (ou Alwars) sert non seulement à saisir le mouvement bhakti dans ses racines mais également à apprécier la profondeur de la philosophie Vivistadvaita, philosophie non dualiste liée au culte du dieu Vishnu. Les poèmes mystiques, appelés Pasuram, furent composés de manière à être présentés musicalement, des termes techniques abondent en ce sens ; ils sont par ailleurs utilisés dans le répertoire de la musique traditionnelle carnatique de l’Inde du sud. Le Tiruppavai est chanté et récité, aujourd’hui encore, durant le mois de Margali (décembre-janvier) et dans les prières quotidiennes notamment dans la région du Tamil Nadu et chez les Tamouls vishnuites.

Andal, ici l’auteur de la poésie, a composé deux œuvres poétiques : le Nachiyar Tirumozhi et le Tiruppavai. Elle y montre la voie de l’épouse accomplie dans l’union mystique, ce qui se marque clairement à la fin de ses deux œuvres. Le Nachiyar Tirumozhi, son chef d’œuvre, est un poème d’amour, qui reflète l’ardeur et la passion d’Andal pour le dieu Krishna. Le Tiruppavai, quant à lui, sublime la beauté pastorale et la juvénilité. Il se compose de 30 poèmes, en tamoul de la période Sangam, âge d’or de la poésie tamoule.

Andal née sous le nom de Goda, mot polysémique qui peut signifier “celle qui apporte la lumière”, “par qui les révélations arrivent”, “qui fait des dons de vaches”, fut découverte sous le feuillage d’un tulsi (basilic sacré) par son père, le prêtre Periyalwar ou Vishnuchitta, un des douze Alvars, au cours d’une promenade dans son jardin, alors qu’il cherchait des fleurs pour agrémenter ses prières matinales. Andal, dès son plus jeune âge, montra une vive inclination à la dévotion et un amour grandissant au dieu tout-puissant Vishnu. Son père l’aurait aperçue un jour, en extase, portant la guirlande de fleurs attribuée aux divinités, d’où son surnom de “Choodi Kodutta Nachiyar” : la reine qui a offert sa guirlande, après l’avoir portée.

Le dieu Vishnu, apparu en songe, ordonna au prêtre d’emmener sa fille au temple vêtue en mariée. Là se réalisa l’union divine. Goda devint déesse et fut nommée Andal. C’est affublé d’un apparat de marié qu’on peut voir Vishnu aujourd’hui en tant que Rangamannar — divinité de la ville sainte de Srivilliputtur (ville de naissance d’Andal) — dépourvu de ses armes divines, la conque et le disque. Seule femme parmi les douze saints-poètes-philosophes de l’Inde du sud, Andal, par sa grandeur d’âme, occupe une place illustre dans l’imaginaire des Hindous, notamment ceux de l’Inde du sud.

Le Tiruppavai raconte la quête d’une jeune fille, Goda ou Andal, réunissant autour d’elle ses amies laitières, les gopis, afin de les conduire au bain sacré, rituel indispensable pour accomplir la cérémonie du Pavai Nombu, pénitence de trente jours pour atteindre le divin. Les jeunes femmes vont d’une maison à l’autre en réveillant leurs amies. Ensuite, elles se rendent au manoir du père de Krishna (Nandagopa). Elles s’adressent d’abord à lui en lui rendant hommage, puis à Nappinnai l’épouse de Krishna, et finalement à Krishna lui-même. La scène se déroule à Gokulam, terre de vachers, de pâturages, d’animaux de ferme et de produits laitiers. Terre également du dieu Krishna. Terre sacrée ! L’histoire se déroule à une époque de sécheresse et de disette, à Gokulam. En ces temps anciens, les sages du village se concertèrent tous et décidèrent que, seule, la cérémonie sacrée du Nombu, strictement observée par les jeunes femmes, leur serait salutaire.

Le Tiruppavai commence par un hommage à la pleine lune du mois de Margali, jour où le lionceau de Yashoda (le dieu Krishna) offre sa grâce aux dévots. Les thèmes principaux développés tout au long des trente poèmes sont : le bain rituel et la cérémonie du Nombu, la quête du divin.

Notons ici la valeur symbolique du bain rituel. Andal ayant bâti ses poèmes sur l’allégorie de la cérémonie du pavai (le vœu) nous indique clairement l’objectif qu’elle poursuit : montrer l’accès au divin par la plongée symbolique dans l’eau sacrée, que représente Krishna.

Les cinq premiers hymnes définissent les conditions facilitant cet accès au divin, en d’autres termes — comment atteindre le seigneur par la dévotion physique, mentale et spirituelle. Le second groupe d’hymnes aborde les conditions préalables de l’abandon au divin. Goda conduit ses amies, les gopis, devant l’autel pour vivre une expérience initiatique : la divinité, reçu comme époux, est alors sublimé aux yeux des jeunes filles. Cela conditionne chez elles l’abandon et l’accomplissement de soi en Dieu et par Dieu. C’est l’essence même de la mystique nuptiale, c’est la conversion à laquelle invite le Tiruppavai.

Le parai (le tambour), leitmotiv poétique, symbole de communication, d’illumination, est le vecteur qui va sortir les gopis en extase de leur stupeur. Les poèmes (pasuram) peuvent se résumer, philosophiquement parlant, comme le passage du plan de la nescience (ajnana) à celui de la connaissance (jnana), mais une fois ce niveau spirituel atteint, il ne reste plus que le “désir” ultime d’union au divin. Le parai joue ainsi, tout à la fin de l’œuvre, un rôle de support philosophique et spirituel. Les célèbres aphorismes des Upanishad qui engagent l’humanité à sortir de son sommeil, se reflètent dans le Tiruppavai. Andal (l’héroïne) réveille ses amis, et le divin lui-même. Mais encore le lecteur du poème ! Elle rappelle combien le seigneur nous comble de sa grâce, nous livre le parai (1er pasuram) et nous montre comment atteindre l’union avec lui. Dans les derniers vers, l’auteur communiquant sur son poème, indique une méthode spirituelle au lecteur : la récitation précise et rigoureuse de sa poésie.

Le Tiruppavai, recueil de poèmes à visée métaphysique de par son intention mystique et initiatique, prend sa source dans les Upanishad, textes anciens sanskrits et le livre sacré le plus lu des Hindous, la Bhagavad Gita. Chez la poétesse, la fusion de l’âme individuelle (jivatma) avec l’âme universelle (paramatma) se situe au plan du symbolisme de l’amour mystique et de l’amour charnel. Il s’agit là d’une forme apparentée à la mystique nuptiale — thème présent notamment chez Nammalvar, souverain parmi les Alvars et chez Tirumangai Alvar. Chez Andal, tant la poétesse que l’héroïne, cette quête est absolue, la soif de l’âme en vue de l’union divine. Dans le Tiruppavai, cette recherche de l’absolu a un caractère collectif mais initiatique : l’héroïne conduit ses compagnes, les gopis, au plus haut niveau de la spiritualité.

La poétesse Andal figure parmi les douze Alvars, elle, dont le privilège est d’être la seule femme parmi ces douze saints vénérés tamouls. L’autorité traditionnellement reconnue à l’auteure, permet de valider, en tout état de cause, le rapport qu’elle établit entre la bhakti et l’expérience charnelle, érotique, métaphorique ou non. Ceci ne laisse aucun doute sur la régularité de cette voie initiatique, qui mène à la plus haute forme de libération (moksha).

Vasumathi Badrinathan
Éditions Banyan, 2019

மார்கழித் திங்கள் Margali Tingale
மார்கழித் திங்கள் மதிநிறைந்த நன்னாளால்
நீராடப் போதுவீர் போதுமினோ நேரிழையீர்
சீர்மல்கும் ஆய்ப்பாடிச் செல்வச் சிறுமீர்காள்
கூர்வேல் கொடுந்தொழிலன் நந்தகோபன் குமரன்
ஏரார்ந்த கண்ணி யசோதை இளம்சிங்கம்
கார்மேனி செங்கண் கதிர்மதியம் போல் முகத்தான்
நாராயணனே நமக்கே பறை தருவான்
பாரோர் புகழப் படிந்தேலோரெம்பாவாய்.

En ce mois de Margali1, riche en nuits de clair de lune,
Celles qui souhaitent participer au bain, dépêchez-vous !
Ô chères demoiselles aux belles parures, filles de Gokulam2, terre de prospérité,
Ignorez-vous que le divin Narayana3, et Lui seul, pourra nous donner le parai4 ?
Le fils de Nandagopa5, à la tranchante épée, versé dans l’espièglerie,
Ce jeune lionceau de Yashoda6, aux beaux yeux de lotus,
Au corps bleu et rafraichissant tels les nuages,
À la figure lumineuse comme la lune pleine nous attend !
Observons le nombu7 et récoltons ainsi l’estime et l’éloge de tous !

Notre prière unique en sera fructueuse !

1 Ou Margazhi : mois de l’Antilope où la Lune est pleine dans l’Orion ; il est sacré à Vishnu.
2 Ville de Krishna au nord de l’Inde dans la région d’Uttar Pradesh.
3 Autre nom de Vishnu, le Tout-puissant.
4 Tambour sacré.
5 Père adoptif de Krishna, son père biologique étant Vasudeva.
6 Belle-mère de Krishna qui l’a élevé (sa mère biologique étant Devaki).
7 Rite traditionnel de la région du Tamil Nadu observé par les jeunes femmes et femmes mariées.
நோற்றுச் சுவர்க்கம் Notruchuvargam
நோற்றுச் சுவர்க்கம் புகுகின்ற அம்மனாய்
மாற்றமும் தராரோ வாசல் திறவாதார்
நாற்றத் துழாய்முடி நாராயணன் நம்மால்
போற்றப் பறைதரும் புண்ணியனால் பண்டொருநாள்
கூற்றத்தின் வாய்வீழ்ந்த கும்பகர்ணனும்
தோற்றும் உனக்கே பெருந்துயில்தான் தந்தானோ
ஆற்ற அனந்தல் உடையாய் அருங்கலமே
தேற்றமாய் வந்து திறவேலோரெம்பாவாய்.

Adorable chérie ! Hier encore tu étais liée au nombu, en vue du paradis ;
Ta porte demeure close, ne peux-tu pas répondre à nos suppliques ?
Aurais-tu hérité des sommeils profonds de Kumbhakarna1 ?
Lui qui autrefois fut vaincu par le divin Narayana,
Notre seigneur au diadème orné de tulsi2,
Ce bienfaiteur de qui nous recevrons le parai.
Oui ! Serais-tu en train de te consumer de langueur,
Toi pourtant, joyau si précieux ?
Sois lucide et ouvre-nous ta porte !

Notre prière unique en sera fructueuse !

1 Personnage de l’épopée Le Ramayana, frère de Ravana qu’une malédiction a condamné à dormir six mois d’affilée pour un seul jour d’éveil.
2 Basilic d’Inde, plante sacrée.
எல்லே இளம்கிளியே Ellay Ilankiliyeh (dialogue)
எல்லே இளங்கிளியே இன்னம் உறங்குதியோ
சில்லென்று அழையேன்மின் நங்கைமீர் போதர்கின்றேன்
வல்லையுன் கட்டுரைகள் பண்டேயுன் வாயறிதும்
வல்லீர்கள் நீங்களே நானேதான் ஆயிடுக
ஒல்லை நீ போதாய் உனக்கென்ன வேறுடையை
எல்லாரும் போந்தாரோ போந்தார் போந்தெண்ணிக்கொள்
வல்லானை கொன்றானை மாற்றாரை மாற்றழிக்க
வல்லானை மாயனைப் பாடேலோரெம்பாவாய்.

(Les filles)
Ô jeune perruche ! Dors-tu toujours ?
(Voix de l’intérieur)
Ne soyez pas si tranchantes. Vous êtes admirables, je vous rejoins !
(Les filles)
On sait que tu peux bien parler et que tu es douée pour les mots !
(Voix de l’intérieur)
Vous, qui avez commencé cette joute verbale, vous êtes fortes et intelligentes. Je cède !
(Les filles)
Viens vite nous rejoindre, voudrais-tu te réjouir seule sans nous ?
(Voix de l’intérieur)
Toutes vous êtes là ?
(Les filles)
Oui, sors et vois par toi-même ! Chante-nous la gloire de Celui qui a tué l’éléphant puissant1 !
(Voix de l’intérieur)
Celui qui anéantit l’hostilité chez l’ennemi !
(Les filles)
Chantons les louanges de Mayan !

Notre prière unique en sera fructueuse !

1 Kuvalayapida, l’éléphant de Kamsa (oncle malveillant de Krishna), dressé à écraser Krishna, qui l’a tué.
குத்து விளக்கெரிய Kuttuvilakkeriya
த்து விளக்கெரியக் கோட்டுக்கால் கட்டில் மேல்
மெத்தென்ற பஞ்ச சயனத்தின் மேலேறி
கொத்தலர் பூங்குழல் நப்பின்னை கொங்கை மேல்
வைத்துக் கிடந்த மலர்மார்பா வாய் திறவாய்
மைத்தடங் கண்ணினாய் நீயுன் மணாளனை
எத்தனை போதும் துயிலெழ ஒட்டாய்காண்
எத்தனை யேலும் பிரிவாற்ற கில்லாயால்
தத்துவமன்று தகவேலோரெம்பாவாய்.

À la lueur du kuttuvilakku1, allongé sur un lit moelleux aux pieds d’ivoire,
Tu te reposes, Ta large poitrine étendue
Comme une fleur épanouie sur les seins de Nappinnai
Aux cheveux embellis de grappes de fleurs écloses,
Ne peux-Tu pas nous dire un mot ?
Toi Nappinnai aux yeux cernés de khôl,
Ne permettras-tu pas à ton bien-aimé de sortir de Son sommeil ?
N’en supporterais-tu pas la moindre séparation ?
Ce comportement ne te correspond pas !

Notre prière unique en sera fructueuse !

1 Lampe à l’huile sur piédestal traditionnelle du pays tamoul.
வங்கக் கடல் கடைந்த Vangakkadal
வங்கக்கடல் கடைந்த மாதவனைக் கேசவனை
திங்கள் திருமுகத்துச் சேயிழையார் சென்றிறைஞ்சி
அங்கப் பறைகொண்ட வாற்றை அணி புதுவை
பைங்கமலத் தண்தெரியல் பட்டர்பிரான் கோதை சொன்ன
சங்கத்தமிழ்மாலை முப்பதும் தப்பாமே
இங்கிப்பரிசுரைப்பார் ஈரிரண்டு மால்வரைத்தோள்
செங்கண் திருமுகத்துச் செல்வத்திருமாலால்
எங்கும் திருவருள்பெற்று இன்புறுவரெம்பாவாய்.

Madava, Kesava1, qui a baratté le vaste océan,
Parées de bijoux, les jeunes demoiselles aux visages de pleine lune
Vers Lui sont allées prier et ont reçu le parai !
Ainsi chante Goda2, dans ce recueil de poèmes en tamoul Sangam3,
Fille de Pattarpiran de Villiputtur4 à la guirlande fraîche de lotus.
Celui qui récitera ces trente poèmes sans faute
Obtiendra la grâce de Tirumal5,
Lui aux yeux de lotus, au beau visage, aux quadruples épaules telles des montagnes,
Il parviendra au bonheur suprême !

Notre prière unique en sera fructueuse !

1 Noms de Vishnu.
2 Autre nom d’Andal.
3 Période classique et académique de la langue tamoule.
4 Pattarpiran (Vishnuchitta ou Periyalwar), père d’Andal, un des douze Alwars, habitant à Sri-villiputtur, lieu de naissance d’Andal (l’auteure).
5 Époux de Lakshmi.