Nadira Zaheer Babbar
सकुबाई
Sakubai

Pour plus de commodité de lecture, ce monologue, présenté dans son intégralité en français, a été décomposé en 7 parties.

Les onglets dotés d’un astérisque sont entièrement ou partiellement bilingues. Une lecture vous en est proposée.

सकुबाई Sakubai, sacrée soubrette !
नादिरा ज़हीर बब्बर Traduction : Jyoti Garin, Justine le Goff et Sophie-Lucile Daloz
La pièce s’ouvre sur un appartement décoré de façon ostentatoire mais avec goût d’une famille de classe moyenne de Bombay. Côté cour, une porte d’entrée donne directement sur une chambre et un salon, en avant-scène. Une estrade peut délimiter l’espace de la chambre. En fond de scène une porte mène à une autre chambre. Côté jardin, la cuisine. Un paravent ajouré peut marquer la séparation entre le salon et la cuisine. Une radio (que Sakubai appelle « magnétophone »), une télévision et un réfrigérateur composent le décor. Tout est en très grand désordre, comme si les propriétaires avaient quitté les lieux précipitamment. La vaisselle du petit-déjeuner traîne sur la table. Des vêtements, des sandales sont dispersés de tout coté. Une brosse à cheveux sur la table. La literie est également défaite. Une serviette mouillée jetée sur le canapé. Des vêtements de nuit, posés pèle mêle près des oreillers, des tasses de thé et un plateau de service sur le lit. La radio est allumée. On entend le bruit d’une clef dans la porte et la voix de Sakubai.
[En voix off.] Ah, bon sang, la clef est encore coincée… je ne sais pas combien de fois j’ai dit à M’dame : « Faites donc quelque chose pour c’te clef » !
Sakubai entre sur scène. Elle a 45-50 ans. C’est une femme marathi. Grande travailleuse, elle est robuste. Ses pieds et ses mains sont rugueux et durs. Elle a de petits yeux, le nez retroussé, le teint foncé, des cheveux épais, remontés en chignon. Au cou, un cordon noir, pas de bijoux aux oreilles, un bracelet de culte au poignet. Elle porte un vieux sari et un bustier assorti. Elle fait des petits pas. Elle marche vite. Sa voix est un peu rauque. Elle chique du tabac. Une fois entrée, elle ferme son parapluie et le pose dans un coin.
Oh mon Dieu…quelle pluie… quelle pluie !
Soudain elle entend un son. Elle sursaute. Cherche d’où il vient. Son regard se pose sur la radio. Après un premier sentiment d’inquiétude, elle comprend que le son vient de là.
Regardez-moi ça, ils ont laissé le magnétophone allumé. Pour les fantômes peut être !… Mais comment ça s’arrête ?
Sakubai s’approche du magnétophone. Avec appréhension, elle appuie sur un bouton. Le volume augmente. Effrayée, elle tire sur la prise.
Ouf, éteint !
Sakubai attrape une serviette et s’essuie le visage et les mains.
Je suis complétement trempée. Quelle pluie… quelle pluie !
Elle voit la pièce en grand désordre.
Regardez-moi ça ! Mais dans quel état ils ont laissé la maison ! On dirait qu’une bombe a explosé… Quel chantier ! Alors eux, à peine relevés du canapé, ils filent… Ah mon Dieu, c’est leur maison, non ? – Vous pouvez pas la ranger un minimum – Bah non ! Tout est en bazar… Et puis, cette serviette mouillée, là, posée sur la chaise, ça va finir par abîmer le vernis, non ?… Mais eux, ils n’y pensent pas. Bah oui, ils ne pensent pas, mais qu’est-ce que je peux y faire ? Allez, au boulot, Sakubai !… Mais regardez-moi donc tout ce chantier…
Elle voit sur la table un tube de teinture pour cheveux.
M’dame, elle est pas mal non plus ! Elle se teint les cheveux tous les jours, et tous les jours elle laisse tout traîner.
En disant cela, elle prend le tube de teinture et se dirige vers la salle de bains pour le ranger. Apparemment, la salle de bains est aussi en désordre. Elle parle depuis la salle de bains.
Même le bouchon du tube de dentifrice n’est pas remis. Bah oui, Sakubai est là. C’est son boulot. Elle va le faire… Oui, elle va tout faire ! Mais il y a mille choses à faire ici. Vous pourriez au moins en faire cinq… Mais non, ils pensent tous pareil, si on a une femme de ménage, pourquoi le faire ! Ils payent pour ça, non ? C’est vrai, ils payent ! Ils payent donc je dois le faire, non ?… Je vais le faire, j’vais tout faire… Oui, Sakubai va tout faire… Allez Saku, bouge-toi, au boulot !
À dire vrai mes patrons, Monsieur et Madame sont des gens bien. Le nom de Monsieur est Kishore Kapoor ! Et le prénom de Madame est Puja. Ils ont deux enfants. L’aînée, une fille, a treize-quatorze ans. Ils lui ont donné un nom anglais… « Pôméla ». Au début, j’arrivais pas à prononcer le nom « Pôméla ». J’étais épuisée avant même de le prononcer. Quand je l’appelais « Baby-baby », elle me répondait : « Sakubai, Sakubai, arrête de m’appeler Baby-baby ! ».
Et M’dame, de rajouter :
« Saku, elle est grande, maintenant. Appelle-la par son prénom ».
Mon Dieu ! Comment l’appeler par son prénom ? Je suis épuisée avant même de pouvoir le prononcer.
Là où j’habite, y a un joueur de fanfare qui est venu s’installer. Dans la maison, juste à côté. Une vraie cage à poules ! Pas plus grande que cette table. Il y a mis toutes ses affaires. Et tous les matins, au lever, il s’entraîne. Un jour, j’étais encore à la maison, voilà qu’il commence à faire ses gammes. Alors, ma fille Saili, elle me dit :
« Hé ! Mam’… Tu n’as qu’à t’entraîner avec lui, et comme ça tu sauras dire “Pômela” ».
Pom… Popom… Popom… Popom… Pom… Pom… Popom… Po-mela… Ça y est, j’y arrive maintenant !
Le lendemain, une fois chez eux, j’dis : « Baby-baby, Pômela-baby » !
Étonnée, elle me répond : « Tiens, tiens, Saku, tu arrives enfin à dire Pômela ? »
Le petit garçon a huit ans. Lui aussi, il a un nom anglais : Rocky. On le surnomme « Rocky-Rocky ». Cette année, ils ont envoyé Baby dans un pensionnat. Un genre d’école pour princesses. Le petit garçon est resté ici. À trois heures et demie, il rentre de l’école. Mon dieu… quel démon, celui-là ! Une vraie tornade ! Oh là, là, Une vraie tornade ! À peine rentré de l’école, il jette son cartable et ses cahiers et se vautre devant la télé. Et il y a quoi à la tété ?… du cricket. Tout le temps le cricket-cricket ! Ces gens de la télé, ils abusent. Ils montrent tout le temps du cricket. Et c’est quand que les enfants ils étudient ? À une époque, y’en avait moins, mais aujourd’hui c’est reparti de plus belle !
Rocky-chéri qu’est-ce qu’il s’amuse ! Il joue comme ça, et puis, comme ça ! Quand il jette la balle, il la rattrape comme ça. Un coup ici, un coup là ! Et moi, je cours après…
« Allez, Rocky-chéri, bois ton lait. Rocky… Rocky-chéri, bois ton lait. Ro-Rocky-chéri, prends un biscuit. Rocky-chéri, un biscuit. »
Ah là, là ! faire boire son lait et faire manger quatre biscuits à Rocky-chéri, mais quel exploit ! Rien à voir avec nos enfants. Chez nous quand on a un verre de lait et quatre biscuits, c’est eux qui nous courent après.
« Eh ! Saku, tu peux m’en donner, s’il te plaît ! Donne… donne… s’il te plaît. Allez ! Donne… donne… s’il te plaît. Eh ! tu donnes, s’il te plaît. Donne, s’il te plaît ! Allez, Sakubai ! Allez ! » Ils sont tous collés à moi !
Rocky-chéri, je le dépose pour ses cours particuliers, tout près d’ici, et le récupère, le soir. Je prépare le repas et j’attends Monsieur et Madame. Le soir, à 7 heures et demie, Monsieur et Madame rentrent. Ensuite, je suis libre. C’est comme cela depuis quinze ans.
La sonnerie du téléphone retentit. Dring… dring… dring… driing… driiing… driiiing !
J’arrive ! J’arrive, oh là, là !
Tout en parlant, elle prend le combiné.
Hello ! M’dame !…Oui, Namaste… Aujourd’hui, je suis arrivée un peu en retard. Il y a eu beaucoup de pluie, M’dame. Que voulez-vous que je fasse, m’dame, un vrai déluge. Chez moi, dans ma bicoque, j’avais de l’eau jusqu’à la taille, oui, jusqu’à la taille. L’eau est rentrée dans la maison, bah oui… le canal, juste derrière la maison, il a débordé ! J’ai dû laisser tout mon paquetage de couchage chez Suman. Elle, elle habite à l’étage !… Comment vous pouvez me dire ça ? J’ai même prévenu Saili, une fois rentrée de l’école, elle restera chez Suman… Quoi ?… Oui, oui, je vous écoute… lequel… ?
Regardant le sac posé sur la chaise.
Oui-oui, il est là.
Elle vérifie dans le sac.
Le bleu ? Je vais le donner à Jagdish pour la couture du revers… D’accord, ok… Oui je vais le donner. Ah, vous allez chez Mummy ?… C’est vous qui récupérez le petit directement ?… D’accord. Alors, ce n’est pas la peine que j’aille à l’arrêt de bus. Est-ce que je cuisine pour ce soir ?… D’accord, M’dame. Aujourd’hui, je ne prépare pas à manger, alors. Donc je peux peut-être partir plus tôt, ce soir ? Vous savez, aujourd’hui, avec toute cette pluie… L’eau qui est rentrée dans la maison… Si je pouvais partir un peu plus tôt, pourrais nettoyer tout ça et préparer à manger pour Saili…
Son visage se décompose comme si elle s’était heurtée à un refus.
Ok, d’accord. Je ne pars pas.
Elle pose le combiné.
नादिरा ज़हीर बब्बर Traduction : Jyoti Garin, Justine le Goff et Sophie-Lucile Daloz
[Explosant de colère.] On leur demande une fois de partir deux heures avant, et c’est pas possible. Je travaille depuis que j’ai sept ans. Ma mère, elle s’appelait Lakshmi. Lakshmi-bai Tukaram Jamare… On habitait la campagne. On était trois… Deux sœurs et un frère. C’est moi l’aînée… Sakuntala… Je m’appelle Sakuntala. Ici, tout le monde m’appelle Saku. Après vient Vasanti puis le petit frère, Nitin… Gotya, ça veut dire le paysan. Nous, on l’appelait Gotya… Au village, il y avait mon père et ses trois frères. La main droite de mon père était un peu tordue. Pourtant, jour et nuit, il travaillait dur dans les champs. Ma mère aussi travaillait avec lui. Quand j’ai eu l’âge de raison, j’ai commencé à travailler avec ma mère… descendre les baoli, vous savez les puits à étage, pour tirer l’eau ; m’occuper de mes frères et sœurs ; balayer la cour… J’ai beaucoup pleuré pour aller à l’école. Mais ma mère m’a donné une grosse claque et m’a dit :
« Toi, tu veux aller à l’école ? Mais si tu vas à l’école, qui va s’occuper de la maison ? »
Et c’est pour ça, que moi et Vasanti, on n’est jamais allées à l’école… oui… Ils ont envoyé Nitin… il fallait absolument envoyer Nitin. C’est un garçon ! Pour Nitin, ils ont acheté un nouvel uniforme d’école, des nouvelles chaussures, des chaussettes, un cartable et tout ce qui va avec ! À l’époque, maman avait vendu son bracelet de chevilles en argent. C’est sûr qu’on travaillait très dur, on n’avait pas assez d’argent pour manger !… Mes oncles et mon père se disputaient le partage de la récolte… souvent, ils disaient à mon père :
« Hé, toi, regarde ta main, regarde d’abord ta main… Alors, c’est toi qui travailles dur ? »
Mon père endurait tout en silence… Mais ma mère, elle, ressentait beaucoup de colère. À la mort de ma grand-mère paternelle, ma grand-mère et mon oncle maternels sont arrivés de Bombay. Quand ils ont vu notre situation, ils ont été très tristes. Ils ont suggéré à ma mère d’aller à Bombay pour travailler, de m’emmener avec elle pour lui donner un coup de main. Et ils ont aussi dit que ce serait bien d’emmener Nitin, parce qu’au village, on ne peut pas faire de bonnes études. Papa et Vasanti resteraient vivre au village afin de préserver le peu de terre qui nous restait… C’est comme ça que ma mère, moi et Nitin, nous avons débarqué à Bombay… Et Vasanti est restée vivre avec Papa au village. Je me souviens très bien du jour du départ, ma mère pleurait beaucoup… À partir de ce jour, Papa a fait tout le travail que nous faisions avant, avec sa main tordue… J’étais très en colère contre les oncles. À cause d’eux, notre famille était brisée. Et puis, le fait de voir mon père avec sa main tordue, me rendait très triste. Si j’avais été magicienne j’aurais transformé tout mon corps pour qu’il devienne une seule main, sa main droite, et non-tordue. Papa nous a déposés à l’arrêt de bus. Le train n’arrive pas jusqu’à notre village. Tout en marchant, Maman demandait à ma sœur Vasanti de prendre bien soin de Papa. Il était très âgé. Elle lui ordonnait de ne pas traîner n’importe où… Le bus est arrivé. On est monté. Assise près de la fenêtre, je regardais… Notre bus a démarré… Papa et Vasanti ont regardé le bus s’éloigner un long moment…
La sonnette retentit. Surprise, Sakubai demande à travers la porte.
C’est qui ?
Dehors, on entend la voix d’une fille.
[La fille] Madame, nous sommes l’entreprise de détergents Super White. Nous procédons à des démonstrations de lessives. Pouvez-vous nous ouvrir ?
Non, ce n’est pas possible, Monsieur et Madame ne sont pas là. Et moi, je n’en veux pas.
[La fille] Qui vous demande d’en acheter ? Ouvrez-moi au moins la porte, nous vous en offrons un gratuit !
Non, non, je n’en veux pas. [Marmonnant, elle referme la porte.] Qu’est-ce qu’ils ont ces gens-là ? Offrir un gratuit ! et puis, comment elle était habillée…tellement moulée ! Ah ! pour être ajustés, ils étaient ajustés ! Je me demande comment elle a pu rentrer dans ce pantalon ! Ces gens-là, ils s’habillent vraiment n’importe comment et passent de maison en maison ! [Réfléchissant.] Mais au fait, nous aussi, on passe de maison en maison. Elle aussi, elle n’a peut-être pas le choix. Pourtant, elle doit avoir de l’éducation, peut-être même un bac… alors que nous, on est totalement illettrés…Oh Mon Dieu ! dans quel monde, on vit ! Éduqués ou pas, on passe de maison en maison… On a au moins ce point commun !
Quand ma mère est arrivée du village, elle portait son sari à la manière traditionnelle du Maharashtra. Elle ne savait pas porter son sari comme on le porte en ville. Sa patronne était une Marwari, vous savez, du Nord de l’Inde. Une fois, elle a dit à ma mère :
« Eh Bai ! Chez nous, ton sari de neuf mètres n’est pas adapté, on voit tes jambes ! » On voit mes jambes ?… Mes jambes avec un sari Kasta ?… Et puis l’autre-là, qui allait me donner gratuitement sa lessive… elle était couverte, oui, mais on voyait tout ! On voit mes jambes ! mon œil, oui ! Ma pauvre mère, elle n’a pas eu le choix, Elle a dû porter le sari enroulé autour de la taille… Elle n’aimait pas ça. Elle avait le sentiment de ne plus rien porter. Elle le coinçait à la taille et balayait comme ça. Un jour, ma mère s’est mise en colère : elle attrape le pan de son sari, le passe entre les jambes, l’accroche à la taille et reprend son travail. Ce jour-là, il y avait Nitin avec nous. En voyant Maman comme ça, il a dit :
« Maman… On dirait vraiment Hanuman ! »
J’ai éclaté de rire. Ma mère aussi. Elle avait beaucoup d’humour. Elle a dit :
« Regarde-moi, je vole comme Hanuman ! »
Un jour, énervée, ma mère a dit clairement à sa patronne Marwari :
« Madame. Nous, on est là pour travailler, pas pour vendre nos coutumes. À partir d’aujourd’hui, je ne porterai plus le sari enroulé autour de la taille, je porterai le sari traditionnel de neuf mètres. Si vous voulez me garder, très bien, sinon “Bye”, que Dieu vous garde !… » Vous croyez quoi ? Que la patronne allait laisser partir ma mère ? Jamais de la vie ! C’est qu’elle travaillait bien, ma mère, la tâche… impeccable… la vaisselle brillait comme de l’or !
Au début, quand on est arrivé à Bombay, on travaillait dans quatre ou cinq maisons différentes, de grosses maisons… Quelle comédie ! Il y avait une maison… hum…comment il s’appelait déjà ? Ah oui ! Oui, ça y est… un certain Monsieur Rungeta. C’est ça ! La maison ne lui appartenait pas, si, c’était sa maison. Mais il n’habitait pas là. Cette maison, il l’avait offerte à la célèbre superstar du cinéma de l’époque, Surekha Rani. Elle devait avoir à peu près 40 ans. À l’époque, elle ne trouvait pas toujours de rôle. Monsieur Rungeta, lui, il boursicotait. Tous les soirs, il allait la voir vers cinq heures et demie, six heures et rentrait chez lui tard dans la nuit… Avant l’heure d’arrivée, Surekha Rani se faisait belle, elle mettait des fleurs dans les cheveux, du parfum, sortait une mèche par ici, une autre par là-bas et ajustait son sari sous le “bembi”… Je ne sais pas comment vous, vous appelez le “bembi” ?… À l’arrivée de Monsieur Rungeta, mettant le pan du sari comme ça, elle lui disait… [Imitant Surekha avec une mine boudeuse.] « Runge-ji ! Runge-ji ! Runge-ji ! Vous êtes encore en retard aujourd’hui, Runge-ji ! »
Et lui de répondre… [Imitant Monsieur Rungeta d’un ton cajoleur.] « Ah, ma reine, ah ma vie ! J’ai juste été un peu retardé… Ah, ma vie ! »
Ensuite, il la prenait sur ses genoux et la cajolait comme une enfant. Moi et ma mère, depuis la cuisine, on voyait tout… Maman n’aimait pas du tout ça… Mais moi, j’aimais bien.
Monsieur Rungeta devait avoir à peu près soixante ans. De grosses bagues en or au doigt. Une chaîne en or autour du cou. Une montre en or au poignet. Pantalon blanc, chemise blanche, chaussures blanches et dans la main, un paquet de cigarettes… Ah, il fumait avec du style [mimant] Comme ça… et puis, il recrachait la fumée… comme ça. Il tirait et il soufflait des jets de fumée. En même temps il chiquait du bétel. Je ne sais pas quel parfum il mettait. À peine il entrait dans la maison, que l’odeur montait, et même après son départ, elle restait… Et Surekha Rani… elle était aux petits soins. Elle le faisait asseoir sur le canapé, lui enlevait ses chaussettes. Elle lui essuyait les mains et les pieds, posait une serviette chaude sur la tête… Quand Monsieur Rungeta enlevait cette serviette son crâne chauve était tout rouge !… On était mortes de rire… Puis ils commençaient à boire… du whisky… anglais…et ils mangeaient du poisson frit… Le poisson frit, c’est ma mère qui le préparait… Et dès qu’ils avaient descendu deux trois verres… Monsieur Rungeta disait : « Allez, Ma reine Surekha, chante-moi quelque chose de romantique… » Et Surekha Rani était toujours prête, et qu’est-ce qu’elle dansait bien !
Elle prend le pan de son sari, le coince à la taille et imite Surekha Rani. Après s’être raclé la gorge comme une star, elle chante en marathi.
Chant marathi
Monsieur Rungeta… Monsieur Rungeta… tout un poème… vous connaissez ce jeu de Hou-tou-tou, c’est comme votre jeu du gendarme et des voleurs ? Pareil, il attrape Surekha Rani, l’attire vers lui et la fait asseoir sur ses genoux. Puis, il lui dit : « C’est bien pour ton excellent service que je viens ici. » Mais bien sûr ! Comment voulez-vous que sa femme, lui rendent un si bon service ! Cela fait 25-30 ans qu’ils vivent ensemble. Elle lui a donné des enfants, maintenant elle est même grand- mère, maternelle et paternelle… elle doit être bien occupée avec de tout ce monde-là… Elle fait ce que la société lui a demandé de faire. Comment voulez-vous qu’elle fasse Runge-ji, Runge-ji en se trémoussant !
Je devais avoir… 15 ou 16 ans. À l’époque, j’accompagnais Maman quand elle allait travailler dans les maisons. Grand-oncle maternel avait envoyé Nitin à l’école anglaise. L’école n’était pas très chère… Mais, les cours particuliers d’anglais, pour sûr, ils l’étaient. Un jour, j’ai dit à maman : « Pourquoi toujours l’anglais, l’anglais ? Est-ce que les anglais enseignent notre langue du village chez eux ? »… On travaillait très dur…J’avais grandi. J’avais des frais moi aussi. Moi et Maman, on travaillait au moins dans quinze ou seize maisons… [Après une pause.] Non, je charrie un peu ! En fait, on travaillait dans sept ou huit maisons. Au total, on gagnait environ six ou sept mille roupies. Maman en envoyait deux mille cinq cents au village pour père et Vasanti. Le reste, c’était pour manger et pour l’école de Nitin… On en a vu passer des comédies ! Oh là, là, mais y a un truc que je ne supporte pas, ce sont les gens qui envahissent Bombay ! Ils nous considèrent comme des moins que rien. Ils nous appellent les « minables ». Partout ils répètent : « Bombay nous appartient, frottez notre vaisselle ! » mais ils ajoutent : « Bombay est comme ci, comme ça. C’est sale… y’a trop de monde !… »
Si c’est ce que vous pensez, vous n’avez qu’à rester chez vous ! Bombay ne vous a pas envoyé de carton d’invitation, que je sache.
À cette époque, je ne portais plus de robe. Je mettais des panjabis. Maman m’en avait acheté deux ou trois… Un blanc, un bleu, un indigo… Un jour Surekha Rani, contente de mes services, m’en a offert un aussi… je n’étais plus une enfant. J’avais grandi. Maman, Nitin, mon oncle et moi, on logeait chez des gens. On avait une seule pièce. Il y avait un étage, au-dessus… Nous, la fille cadette de Grand-oncle, Maman et moi on dormait dans la pièce. Le jeune Oncle, Nitin et les autres dormaient là-haut.
Je portais toujours le panjabi que Surekha Rani m’avait offert. Il avait des fils d’argent, partout… des boutons en argent… pas des vrais !… mais comme des vrais… Chaque fois que je sortais, je mettais cette tenue-là. Ma mère me disait :
« Sakiya, tu portes toujours la même tenue. Sans la laver. »
C’est vrai, ce panjabi, je ne l’avais jamais lavé… Un jour, Maman est partie toute la nuit faire la vaisselle pendant une veillée… cette nuit-là, en plein sommeil, j’ai eu l’impression que quelqu’un m’écrasait. Mon corps était lessivé après la journée de dur travail. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Un viol ?… est-ce qu’Oncle m’avait droguée ? [Elle mime le viol.] Ah là, là… passons…
Le matin, quand je me suis réveillée, j’ai vu que tout le monde était déjà parti… quelqu’un avait recouvert mon corps d’un drap… je l’ai enlevé et il y avait du sang sur le pantalon… du sang…du vrai sang… j’ai eu peur… j’ai essayé de me relever…et… aaah… mon corps était en miette. Comme si on m’avait frappé fort… ma mère se préparait vite, vite pour aller travailler. J’avais l’habitude de me laver en même temps qu’elle, mais ce jour-là, j’y suis allée après. J’ai pris un sac en plastique… j’ai enlevé le pantalon, je l’ai mis dedans, vite, vite, je me suis lavée et je suis sortie… je pensais que je prendrais le sac avec moi en sortant et que je le jetterais loin du regard de Maman, mais ce n’est pas comme cela que cela s’est passé… Nous sommes parties au travail. Maman a vu le sac et elle m’a demandé :
« Hé, Sakiya, qu’est-ce que tu emportes ? »
Je n’ai rien dit. Vite, vite, elle a arraché le sac de ma main. L’ouvrant, elle a vu le pantalon. Furieuse, elle m’a donné une grosse claque et elle m’a demandé :
« Ça… c’est arrivé comment ?… Quand ? »
J’ai commencé à pleurer. Je n’ai rien fait, Maman. C’est Oncle qui m’a droguée. Elle m’a attrapée par la main et elle m’a traînée jusqu’à la maison… Grand-mère maternelle était étonnée de nous revoir…
« Comment se fait-il que vous soyez de retour ? »
Maman a sorti le pantalon du sac et l’a jeté par terre puis a dit :
« Regarde donc, voilà pourquoi on est rentrées… »
Oncle voyant la scène, a fait semblant de ne rien voir. Et vite, vite, il a enfilé ses sandales pour partir…
Alors, Maman a frappé son pied avec le parapluie.
« Ordure ! Tu n’as pas honte ? Ravi, elle était comme ta fille, non ? »
Ensuite, Maman s’est précipitée sur lui et l’a frappé avec ses deux mains… Grand-mère les a séparés. C’était allé trop loin… Maman a dit : « Soit c’est lui qui reste, soit c’est nous… » Mais pourquoi voulez-vous que Grand-mère et Grand-oncle chassent Ravi ? Après tout, il était de leur famille, alors c’est nous qui sommes parties… Grand-oncle a dit :
« Si vous voulez, vous pouvez laisser Nitin ici. »
Maman n’était pas d’accord et elle a répondu :
« Et pourquoi je laisserais Nitin avec vous ? C’est mon fils. Il viendra avec nous. »
Maman nous a pris par la main et on est partis… et c’est comme ça que nous… on est devenus sdf à Bombay…La nuit, on dormait sous les escaliers de l’immeuble où on travaillait le jour. Maman veillait toute la nuit… elle était traumatisée. Le matin, les Messieurs-Dames de l’immeuble grondaient le gardien :
« Hé, qu’est-ce que c’est que cette crasse ? Qui sont ces gens-là ? Fous-les dehors ! »
Maman cherchait toute la journée un endroit pour dormir. Mais qui voudrait nous louer quelque chose ? On n’avait pas d’argent… et puis, un jour, on a rencontré Oncle Hussein. Il était originaire de Firozabad. Chauffeur de taxi… il devait avoir 60 ou 65 ans. Il a eu pitié de nous. Il nous a loué la moitié de sa maison… et c’est comme cela que les autres sont devenus les nôtres. Et les nôtres sont devenus les autres. Ma mère m’a beaucoup parlé et elle m’a fait promettre de ne jamais raconter cette histoire avec l’Oncle… sinon, comment voulez-vous que je puisse me marier ?… même pas à Père !… Cela aurait fait une sacrée querelle entre les futures belles familles. Nous femmes, on subit ce genre d’outrages pour éviter le chaos des familles, même si ce chaos doit nous ronger de l’intérieur…
नादिरा ज़हीर बब्बर Traduction : Jyoti Garin, Justine le Goff et Sophie-Lucile Daloz
Pendant trois ou quatre ans, Maman a beaucoup trimé. Tous les ans, on allait au village une semaine ou dix jours. Là-bas aussi, ma mère devait trimer. Jour et nuit, elle s’occupait de Père… mais Père était triste 24 heures sur 24. Il avait beaucoup maigri. Tout ce qu’on lui ramenait de Bombay, il le posait sans dire un mot. Il ne riait pas, il ne parlait pas non plus. On avait l’impression qu’il fondait de l’intérieur…
Ma petite sœur Vasanti aussi avait grandi. De qui tenait-elle ?… très grande et large, grassouillette et fraîche…à peine adolescente, c’était déjà une jeune femme. Les problèmes allaient bientôt commencer ! Sa jeunesse appelait tout le monde. Hé, qu’est-ce que tu regardes là-bas ? Regarde ici ! Je suis une belle demoiselle maintenant… Au village, il y avait un conducteur de rickshaw, Ahmad. Papa se doutait qu’il mijotait quelque chose avec Vasanti. Mes parents voulaient la marier le plus vite possible… mais moi, j’étais l’aînée, non ?… C’est pourquoi, on a pensé à mon mariage d’abord. Et on m’a mariée vite, vite. Pendant ce temps-là, Nitin avait passé son bac et il était inscrit en première année de fac… Un jour, maman est retournée au village. Papa était très malade… tous les soirs, il avait de la fièvre… et moi, avec mon mari… j’étais ici, à Bombay. Mon mari s’appelle Yashvant Ghagh. Il est gendarme. Il gagne deux à deux mille cinq par mois… La nuit de noce, Yashvant m’a dit :
« Écoute, Sakiya, je ne vais pas pouvoir faire tourner la maison avec mon petit salaire. Tu vas devoir m’aider. »
J’ai rétorqué : « Ne te tracasse pas. J’ai des mains pour travailler, non ?… » Mon mari était très beau à voir, vraiment beau… pas comme la superstar Salman Khan… mais un peu quand même. Il m’aimait beaucoup. Et pour couronner le tout, par la grâce immense de Dieu, pas de belle-mère…ni de belle-sœur… Il avait un frère aîné qui habitait le village… Un jour, nous sommes allés à Titvala. Là, on a fait des offrandes de noix de coco pour remercier Dieu de ses bienfaits passés et à venir. Dieu nous a bien écoutés. Mon homme avait eu une aventure avec une femme.
Elle habitait dans la ruelle juste derrière chez lui. Son mari s’appelait Ramprasad Mishra. Il était infirmier en chef à l’hôpital. Tout le monde l’appelait Mishra-ji, Mishra-ji… et elle, on l’appelait Mâdame Mishra-ji… dès que Mishra-ji quittait la maison pour aller à l’hôpital… alors, Mâdame Mishra-ji se préparait, se pomponnait pour sortir. Haut sans manches, fleurs dans les cheveux, rouge à lèvres, fard et poudre, elle se promenait en pérorant. Son mari était un peu plus âgé qu’elle… Pour en revenir à mon mari, elle lui avait même donné un rakhi, ce fameux bracelet, dédicace annuelle entre frères et sœurs. Elle l’appelait « frère, mon frère »… mais vous connaissez ce proverbe, non… « frère de jour, amant de nuit »… Si pendant deux jours, mon mari n’allait pas la voir, c’est elle qui faisait irruption chez nous avec un prétexte bidon. Et avec des yeux de merlan frit, elle disait :
Imitant les manières de Madame Mishra-ji.
« Que ce passe-t-il, mon frère, que passe-t-il ?… Alors comme ça, tu as oublié ta sœur ? J’ai attendu toute la nuit… sans manger… »
Puis, elle en me regardant de travers :
« Se marier ne signifie pas oublier sa propre sœur. »
Dès qu’il la voyait, mon mari était comme hypnotisé. Il abandonnait le repas aussitôt…
« Didi, grande sœur… »
Et il la suivait partout comme un toutou… je suis allée voir des saints, des fakirs, des mosquées… j’ai fait des jeûnes… sans résultat… le charme de cette sorcière est resté. Entre-temps j’ai eu une fille, Saili… elle est née un grand jour, le même jour que la naissance du Guru Saï-baba, un vendredi. Alors je lui ai donné le nom de Saili. Je vénère Saï-baba. Depuis que je suis arrivée à Bombay, je vais le voir au lieu saint de Shirdi, tous les deux ou trois mois… Avant c’était très bien là-bas… des arbres partout, des plantes, de la verdure… et il n’y avait pas trop de monde. Là il y avait un autre saint homme de Koradi. Il chantait vraiment bien les chants dévotionnels. Il s’installait avec l’harmonium et tout le monde chantait en chœur avec lui…
Elle s’assoit par terre comme Koradi-Baba et commence à jouer de l’harmonium.
Il était malade, très malade
il tomba aux pieds de Baba
se pris de compassion Baba
un peu de cendre lui donna
sa bénédiction le dévot l’accepta
le fruit de ses prières il gagna,
le voilà guéri, le voilà !
Écoute aussi nos prières Saï-Baba,
fais-nous boire à la coupe de l’Amour Saï-baba
Écoute aussi nos prières Saï-baba !
« Coupe de l’Amour… » je veux dire, le vrai amour, pas la vraie coupe… pas celle pour le champagne… oh là, là, à la maison, personne ne boit de cette coupe là… Chez nous ce n’est que la coupe de l’Amour divin… Ma mère aussi chantait :
« Écoute aussi nos prières Saï-baba. »
Maintenant je ne vais plus au pèlerinage de Shirdi. Plus d’arbres, plus de végétation, ce n’est plus que des boutiques, et puis, cette foule, cette satanée foule… pendant des heures, on reste plantés là, à faire la queue… Après quatre ou cinq heures, quand on commence à apercevoir le saint homme… et qu’on s’approche pour lui parler, alors il y a ces… comment on appelle cela…
Purhé dja sarkâ… Purhé dja sarkâ… ah oui, ces urnes pour les dons,
Purhé dja sarkâ… Purhé dja sarkâ… Depuis ce jour-là, j’ai envoyé balader l’urne et les dons ! J’ai apporté une icône de Saï-baba à la maison, je l’ai posée… Maintenant je parle avec lui ici. Mais on dirait que Saï-baba s’en fiche de mes prières…
Le téléphone sonne. Tout en chantant le refrain du chant dévotionnel, « Écoute aussi nos prières Saï-baba… », elle décroche le combiné et par inadvertance dit.
Allô ! Saï-baba, j’écoute… Euh… Désolée… Sakubai à l’appareil. Oui… Bonjour Madame… oui, Madame… ça, je ne sais pas, Madame… Madame est sortie… Le nouveau numéro de Monsieur, je ne l’ai pas. Je ne peux pas vous le donner… [En colère.] Ne me demandez pas ce genre de choses. Raccrochez, s’il vous plaît, et moi, je raccroche…
Elle pose le combiné.
C’est cette fameuse poufiasse, vous savez, celle qui avait embobiné Monsieur… No comment… Pas que Monsieur, mais de nos jours, toutes les maisons sont frappées par ce fléau, résultat… Elle travaille au bureau de Monsieur… Monsieur, il travaille dans… comment on appelle cela… on voit ça à la télé…
Elle fait flotter le pan de son sari et imite la pub des saris de la marque célèbre Kunwar Ajay.
Sari numéro un… Kunwar Ajay-sari, numéro deux…
Cette femme, elle se prend pour la mariée et mon patron pour le marié… un jour… Madame était sortie, cette poufiasse a appelé au téléphone… Monsieur lui a parlé pendant des heures… Et dès que je suis rentrée dans la pièce, il a commencé à parler en anglais.
Yes… yes… no… no.
Et tout suite, il a trouvé un prétexte pour m’envoyer faire une course… Je ne suis pas dupe. On est illettrés, certes… mais c’est pas pour autant qu’on n’a pas de cervelle ! Le soir, Madame est rentrée et m’a demandé :
« Qu’est-ce qui se passe, Sakubai ? J’ai essayé de te téléphoner dans la matinée, mais je n’ai pas réussi à te joindre ! » Alors Monsieur a répondu :
« Non, non, le téléphone était libre. Peut-être qu’il était juste en dérangement. »
Mais moi, je sais qui était dérangé ! Alors, Madame n’a rien dit et moi non plus… Pourquoi voulez-vous que je dise quelque chose… pour que cela fasse du grabuge ? Une fois, Monsieur avait mal ici… dans le dos… Comment ça s’appelle… oui, sliping disk, un disque qui glisse, une hernie discale… Le médecin avait dit :
« Pendant un mois, vous devrez rester au lit. Il faut vous reposer. »
Madame, prenez énormément soin de lui… Et dès qu’elle partait, voilà Monsieur suspendu au téléphone… Plusieurs personnes du bureau venaient lui rendre visite. Un jour, elle aussi, elle est venue. Madame n’était pas à la maison… et celle-là est arrivée avec une mini robe, hyper moulée…moulée de chez moulée : fallait pas qu’elle éternue au risque de craquer sa robe. Dès que j’ai ouvert la porte, elle est entrée en se dandinant, et m’a dit :
Hi Sakubai ! Comment vas-tu ?
Vous auriez vu les talons… Comme si elle avait un étage de plus. Vous savez, c’est comme ces enfants qui montent sur les échasses au village.
Elle monte sur la pointe des pieds et elle imite sa démarche.
Et elle va directement dans la chambre de Monsieur. Et là… Ô mon chéri… Ô mon chéri… How are you ? En disant cela, elle se jette sur lui… alors j’ai dit, attention Madame il a un tour de reins… Mais Monsieur se laissait faire, malgré la douleur, il s’est levé pour l’embrasser sur la joue et il lui a demandé :
« Que veux-tu boire ? »
J’ai marmonné : « Donnez-lui du poison ! »
Alors elle a dit en minaudant :
[Battant des cils, d’un geste de la main, sur un ton enjoué.]
« I’ll have… black coffee. »
Alors je suis allée faire du café dans la cuisine. Clac, clac, clac, elle m’a suivi à la cuisine… et elle a commencé à me dire :
« Listen, Sakubai… I make. »
J’ai dit : « No… I make. Je sais comment faire du café noir, non ? » Alors vite elle a répondu :
« Good… but don’t put sugar… »
J’ai répondu : « Si vous dites don’t, alors pourquoi j’en mettrais ? » Et puis elle a ouvert le placard où il y avait les gâteaux salés, et elle a commencé à piocher dans chaque boîte. Ma patronne aimait beaucoup ça… et qu’est-ce que je vois, elle s’empiffre et elle continue à parler :
« Lovely, Sakubai… lovely ! »
Je lui ai arraché la boîte et je lui ai dit : « Allez vous asseoir près de Monsieur. Et tout ce qui est lovely, je vais vous l’apporter. »
J’ai préparé le café et les gâteaux sur un plateau et je suis rentrée dans la pièce… Et qu’est-ce que je vois ? Elle était assise à côté de Monsieur, collée à lui… Monsieur a reculé en me voyant… j’ai posé le café et je suis repartie dans la cuisine… je me demandais… quelle différence entre cette poufiasse et la maîtresse de mon mari ? Simplement qu’elle, elle disait bonjour en anglais « Hi ! »… et que devant tout le monde, elle se collait à lui… alors que Madame Mishra, elle, c’était simplement pour trouver un peu de réconfort, que son vieux mari ne pouvait plus lui donner, voilà. Mais, elle, pourquoi elle faisait ça ?… parce qu’elle cherchait du travail ?… pour gagner de l’argent ? Mais au final, cela ne pouvait pas durer. Si Madame l’avait appris, cela aurait fait un sacré grabuge, et pour finir même, un vrai pugilat… il n’y a pas que les illettrés qui frappent leurs femmes… les gens éduqués le font aussi. Un jour, Madame a fini par le savoir… alors ce qui devait arriver arriva… c’était un dimanche matin. Quand j’ai ouvert la porte, Madame avait la mine triste.
Sakubai montre son œil et sa joue.
Comme ça… C’était drôlement enflé… j’ai eu très peur… je lui ai demandé : « Madame, qu’est-ce qui vous arrive ? Qu’est-ce qui s’est passé ? » Alors elle a répondu :
« Ce n’est rien… rien… rien de grave… je me suis cognée contre la porte. »
Je suis restée silencieuse… J’avais bien compris de quelle porte il s’agissait… Je lui ai proposé : « Voulez-vous que je vous fasse un cataplasme au curcuma ? »
Alors elle a répondu :
« Non Sakubai… je vais aller chez ma mère… »
J’ai dit : « Pourquoi, chez votre mère ? En vous voyant ainsi, qu’est-ce qu’ils vont penser, les gens de votre famille ?… Cette maison, elle est à vous aussi. Vous avez aussi votre institut de beauté ici. »
Son institut de beauté s’appelle Madame Puja. Alors j’ai repris : « Vous avez un travail… Restez chez vous, Madame. D’abord, prenez soin de vous et de vos enfants… » Et ce jour-là Madame Puja a tout craché à Monsieur.
« Toi, fais ce qui te plaît… c’est ma maison… c’est mon institut de beauté… mes enfants… »
Je ne dis pas que tout ce que j’ai dit à Madame, elle a écouté… Mais, un jour un miracle est arrivé ! Elle a trouvé un homme encore plus beau que Monsieur, lovely !… et en plus, il était doué pour le cricket, il lançait la balle comme cela…tac, tac, tac ! À partir de ce jour-là, le bonheur. J’ai remercié Dieu… j’étais tellement contente… encore plus que quand mon mari s’est fait larguer… je ne vous l’ai pas dit… Madame Mishra avait quitté mon mari depuis longtemps. Elle avait trouvé un marchand de noix de coco qui était plus costaud et plus riche que mon mari. Il lui offrait le jus de coco gratuit tous les jours… Je lui ai dit : « Ma sœur, bois autant de jus de coco gratuit que tu veux… mais pas besoin d’en apporter à ton frère. »
Mon mari, Yashvant, était fou amoureux de moi. Notre fille Saili a grandi. Yashvant l’a inscrite dans une école anglaise. Yashvant chéri me disait toujours : « Ta fille, je l’éduquerai comme il faut. » Je lui répondais : « Ne te tracasse pas ! à force de frotter la vaisselle, mes mains seront rêches, mais ta fille, je ne la laisserai jamais faire ce travail ». À l’époque où Yashvant s’était fait larguer, on avait quelques économies. Il a acheté des bracelets de cheville et des boucles d’oreilles faits sur commande pour Saili. Et il m’a même offert un magnifique collier de mariage traditionnel. Faut dire qu’on avait moins de frais !
नादिरा ज़हीर बब्बर Traduction : Jyoti Garin, Justine le Goff et Sophie-Lucile Daloz
Un jour la nouvelle est arrivée du village : mon père était gravement malade. Yashvant nous a accompagnées au village, Saili et moi. Père était allongé en silence dans la cour, son regard était vide. Je lui ai dit : « Père, regarde, Saili est là, elle te touche les pieds. Donne-lui ta bénédiction. » Alors il a un peu ouvert les yeux… On ne voyait nulle part ma sœur Vasanti… Quand j’ai demandé à Maman où elle était, elle m’a fait signe de me taire… Puis elle m’a accompagné dans la cuisine et à mi-voix et elle m’a raconté que Vasanti s’était enfuie avec Ahmed, le conducteur de rickshaw. Elle m’a demandé de ne rien dire à Père… Cela risquait d’aggraver son état… Yashvant a dit que lendemain matin, on amènerait Père à Bombay. Là-bas, il pourrait recevoir de bons soins dans un grand hôpital… Mais le lendemain matin, alors que tout était prêt… Maman a vu que Père était allongé en silence, il ne bougeait plus… Maman a appelé et elle a dit :
« Hé, Tukaram, viens par ici…hé Saku ! Regarde, ton père ne bouge plus, il ne dit rien. »
Alors, je me suis approchée et j’ai vu Père… mon père était déjà parti… à force d’endurer les souffrances toute sa vie, son corps l’avait lâché…
Pendant trois jours, on a beaucoup pleuré… puis, moi et Yashvant, on a emmené Maman à Bombay pour éviter de la laisser toute seule… Pendant quelques jours, elle est restée avec nous… puis elle est allée vivre ailleurs. Maman a recommencé à travailler… Lakshmi-Bai Jamare s’est remise à travailler…
De temps en temps, on avait de rapides nouvelles de Vasanti. Elle habitait à Nasik. Un jour, on a même reçu une lettre nous demandant de l’argent… J’ai menti à Yashvant en lui disant que j’allais au pèlerinage de Shirdi… J’ai pris un peu d’argent et je suis allée la retrouver… Là, j’ai appris que Vasanti s’était enfuie à Kolkata avec un Bengali… Quelqu’un d’autre m’a dit qu’elle était bel et bien à Bombay, mais je ne l’ai pas cru. Si elle était vraiment à Bombay, elle serait venue nous voir.
Un soir, je préparais à manger… Yashvant aidait Saili à faire ses devoirs… je ne sais plus quoi… Tout d’un coup l’électricité s’est coupée… puis quelqu’un a frappé à la porte avec un bâton et a dit :
« Yashvant… Yashvant… »
Mon mari s’est levé et il est sorti pour voir… c’était la police.
« Monsieur l’agent ? »
L’agent a dit : « Ta femme s’appelle Saku ? »
« Oui, Monsieur. Pourquoi ? »
J’ai rejoint mon mari, j’étais derrière lui… L’agent m’a vue et il a dit :
« C’est elle ? »
Mon mari a répondu : « Oui, Monsieur, mais qu’est-ce qu’il y a ? »
« Qu’est-ce qu’il y a ? Espèces d’ordures, vous êtes tous les mêmes ! »
Puis il s’est adressé à moi :
« Ta sœur s’appelle Vasanti ? »
J’ai répondu :
« Oui, Monsieur. Mais qu’est-ce qu’il y a ? »
L’agent a dit :
« Ta sœur s’est suicidée. Suicide. Elle vivait de la prostitution à Kamatipura… on a trouvé cette vieille adresse dans ses affaires. Cela fait trois jours qu’on te cherche… et on s’est pris la tête. Allez, venez, il faut aller à l’hôpital pour reconnaître le corps… Sinon, direction la fosse commune, et après c’est vous qui direz que la police est injuste vis-à-vis de la population. »
Je suis retournée dans la cuisine. J’ai coupé le feu. Je me suis vite peignée avec mes mains. J’ai attrapé mon sac. Puis, je suis allée voir la voisine avec Saili en lui demandant de la garder. Mon mari et moi, on est allés au poste de police… Quand on est arrivés, l’officier a grondé l’agent.
Elle imite l’officier en train de se curer les dents.
« Où est sa mère ?… Pourquoi tu ne l’as pas amenée ici ? »
L’agent a répondu :
« Monsieur, l’adresse qu’on avait trouvé dans ses affaires, on s’y est rendu mais on nous a appris là-bas qu’ils avaient quitté les lieux depuis longtemps… personne ne savait où ils avaient déménagé. À force de chercher, on a fini par… »
L’officier m’a demandé
« Où est ta mère ? »
J’ai répondu :
« Sa maison est juste à côté de la mienne… »
L’officier a dit :
« Alors j’en déduis que ta mère n’est pas au courant, c’est ça ? »
J’ai répondu :
« Si Monsieur… mais dès que j’ai commencé à lui annoncer, elle est tombée. »
« Tombée dans les pommes, mais pas morte, non ? »
L’officier s’est mis en colère et il s’en est pris à mon mari.
« Elle, c’est une femme, elle n’a pas de cervelle. Mais toi, tu es un homme, réfléchis un peu ! »
Les mains jointes, mon mari lui a dit :
« Monsieur, s’il vous plaît… »
« Si vous étiez venus à trois, je vous aurais donné le corps… mais là…si demain ta belle-mère et un oncle viennent me le réclamer… je fais comment ? Ce n’est pas compliqué à comprendre ! Allez, va chercher ta belle-mère ! »
Immédiatement, mon mari a appelé un rickshaw et est allé chercher Maman… Moi, je suis restée au poste et je pensais à Vasanti… C’était une belle plante… le teint clair… comme Maman, elle était grande. L’hiver, comme on n’avait qu’une seule couverture alors on dormait dans le même lit toutes les deux… la couverture était trop petite, alors chacune la tirait de son côté… elle posait toujours une jambe et une main sur moi…
Moi, Vasanti et Nitin, on dormait tous ensemble dans la même pièce… Maman nous chantait des berceuses.
Chant marathi
Plus tard, Yashvant est revenu avec Maman. Nitin aussi était avec eux. À force de pleurer, Maman était très mal… et elle s’est évanouie en arrivant. L’officier a crié :
« Pas la peine de jouer la comédie ici… »
Puis, Nitin a pris la main de Maman… et l’a aidée à mettre l’empreinte de son pouce sur la feuille que l’agent avait tendue… Ensuite, l’officier nous a donné une lettre en disant :
« Bien, vous pouvez aller à l’hôpital Kapoor maintenant ! »
Il était deux heures ou deux-heures et demie du matin… On est arrivé à l’hôpital Kapoor… Les corps sont déposés dans une chambre froide. À l’extérieur de la pièce, il y avait le gardien et des infirmiers qui jouaient aux cartes… On leur a montré la lettre… alors ils nous ont dit :
« Impossible de vous remettre le corps la nuit. Revenez demain matin ! »
On n’a pas bougé de l’hôpital… Une heure après, quand ils ont fini leur jeu de cartes, l’un d’eux a dit :
« Les gars, ces gens-là ne vont pas partir comme ça… Montrez-moi la lettre ! »
Mon mari lui a tendu la lettre. Il a sorti un énorme registre de l’armoire.
Elle imite quelqu’un en train de tourner les pages d’un gros registre.
« Vasanti… Vasanti… âge 35 ans… prostituée dans le quartier de Kamatipura. Elle s’est pendue avec un ventilo et elle est morte, la petite salope ! »
Quand il a dit la petite salope, ça m’a mis tellement en colère que j’avais envie de lui griffer le visage… puis il a ajouté :
« Il est tard. On a peur d’aller dans cette pièce. Dans le froid, tous les cadavres deviennent raides. »
Puis, ils ont commencé à se pousser les uns les autres en disant : « Allez, vas-y toi… toi, Pakiya… » Et ils ricanaient. Yashvant leur a mis deux cents roupies dans la main alors ils ont fini par nous amener le corps de Vasanti enveloppé dans un drap blanc… Nitin avait apporté l’eau sacrée du Gange… Moi et Maman, on le lui a versé dans la bouche. Jaya Ram… Sri Ram… Jaya Ram… Sri Ram…
J’ai raccompagné Maman à la maison… Nitin et Yashvant ont accompli les rituels funéraires puis ils sont rentrés… Ils avaient trouvé une boîte cassée dans ses affaires… il y avait quelques vieux vêtements. En voyant cela, Yashvant m’a dit :
« Je ne veux aucune de ses affaires dans cette maison, que ce soit bien clair. »
Alors je les ai donnés à quelqu’un… J’ai juste gardé une photo en cachette. Elle était dans ses affaires… c’était une photo posée, prise à la foire, elle était assise dans une belle voiture, pas une vraie… vous savez ces voitures en carton… quand on se met derrière pour la photo, on a l’impression qu’on est assis dans une vraie voiture… Je ne sais pas ce qui lui est passé par la tête pour qu’elle s’échappe de la maison… De quoi rêvait-elle ?… Pour quel résultat au final… un sari… un ventilateur… un tabouret…

Voici une lecture de cette partie par Sophie-Lucile Daloz, une des co-traductrices de ce monologue.

नादिरा ज़हीर बब्बर Traduction : Jyoti Garin, Justine le Goff et Sophie-Lucile Daloz
बाहर दरवाजे पर डोर बेल बजती है। पहले एक बार फिर दो बार। On entend la sonnette. D’abord une fois puis deux fois.
सकुबाई फूलवाला होगा।… अभी देखना तीन बार घण्टी बजाएगा। Ah, ça doit être le fleuriste… Vous allez voir, il va sonner trois fois cette fois-ci.
तभी तीन बार लगातार डोर बेल बजती है। सकुबाई बड़बड़ाती हुई गुस्से में बाहर जाती है। और बाहर लै ही सकुबाई के डाँटने की आवाज सुनाई देती है। Trois coups de sonnette. Marmonnant Sakubai ouvre la porte et sort. On l’entend gronder quelqu’un dans les coulisses.
एऽऽनाशपीटे।… हलकट।… बिजली का बिल कौन भरेगा… तेरा बाप? Espèce d’imbécile ! Qui va payer la note de l’électricité, ton père peut-être ?
फूलवाला बाहर से ही “कुऽऽकूँऽकूँ” की आवाज निकालकर भाग जाता है। सकुबाई हाथ में दो फूल की पुड़ी लेकर बड़बड़ाती हुई अन्दर आती है। De l’extérieur, le fleuriste crie « ku-ku-ku » puis s’en va. Deux paquets de fleurs à la main, Sakubai revient sur scène en marmonnant.
बहोत खराब लड़का है।… जब भी मैं दोपहर को थोड़ा आराम करने बैठूँ तभी ये आएगा। पहले एक बार घण्टी बजाएगा। फिर दो बार। फिर तीन बार।… और जब कुछ बोलो तो- “कु कु कूँ ऽऽ कूँ ऽऽ।” बोलकर भाग जाता है।… मैं मेमसाब को बोलनेवाली भाई कि इस का कुछ करो।… दो-दो… तीन… तीन दिन के फूल एक साथ देकर जाएगा।… अब ये दो दिन नहीं आएगा।… Un vrai casse-pieds, celui-là. À chaque fois que je m’allonge pour me reposer un peu, faut qu’il sonne, pile à ce moment-là. D’abord il va sonner une fois, puis deux et puis trois fois… et quand je réponds, alors il m’appelle « Ku, ku, ku… Saku » et part en courant. Je vais le dire à Madame. Il faut faire quelque chose. Deux, deux… trois guirlandes en même temps… Et maintenant, il ne viendra plus pendant deux jours…
इनके घर का दीया-बत्ती भी मुझे ही करना होता है।… इतनी-सी थी तब से माँ के साथ रोज दीया-बत्ती करती थी।… मगर भगवान अपनी इच्छा से ही प्रसन्न होते हैं।… अब तक हमारे दिन तो नहीं बदले।… भगवान मुझे क्षमा करें।… मगर एक बात मेरे मन में जरूर उठती है।… हम लोग दिन-रात मेहनत करते हैं। मेहनत करते-करते बूढ़े हो जाते हैं… और मर जाते हैं। न कोई हमें पूछता है न याद करता है।… अरे रोने और याद करने के लिए भी तो टाइम चाहिए।… और टाइम है किसके पास?… फिर छुट्टी हमें कौन देगा?… एक दिन-दो दिन बस।… ज्यादा छुट्टी करेंगे तो दूसरी बाई रख लेंगे।… भगवान ने भी इतने सारे दुःख हमारे हिस्से में दे दिए… अरे क्या अल्लाह। क्या भगवान।… सब एक दूसरे की मिलीभगत है। सब एक ही थैली के चट्टे-बट्टे हैं। एक वो शहनाज मेम साब थी, क्या किया उसके अल्लाह ने?… दिन भर अल्लाह-अल्लाह करती रहती थी। कुछ नहीं तो दिन में दस-पन्द्रह बार तो नमाज पड़ती थी।… नहीं-नहीं ये जरा ज्यादा है। दस पन्द्रह बार नहीं।… हाँ पाँच बार नमाज पड़ती थी। कितना अच्छा आदमी था उसका। ढेर सारे बच्चे थे। उनके तो होते हैं न?… अ… क्या बोलते हैं अल्लाह का करम। उसके आदमी की क्रॉफेड मार्केट में प्लास्टिक की दुकान थी।… दोनों में बहुत प्यार था। और वो शहनाज मेम साब। हमेशा पर्दे में रहती थी। मैं उनको बहुत बार बोली- क्या मेम साब आप ऐसी गर्मी में ये काला तम्बू डाले रहती हो। आपको गर्मी नहीं लगती? तो हँसकर बोलती- Ici, c’est moi qui m’occupe des petits rituels quotidiens : allumer la lampe, faire l’offrande de fleurs aux dieux… J’étais haute comme trois pommes, que je faisais déjà ces rituels avec Maman. Mais vous savez, Dieu n’en fait qu’à sa tête… jusqu’à maintenant, rien n’a vraiment changé pour nous, pas de miracle… Que Dieu me pardonne, mais il y a un truc qui me chiffonne… Nous, on travaille dur jour et nuit. À force de travailler on vieillit… et puis on meurt. Personne ne s’inquiète pour nous, personne ne se souvient de nous… Et puis, pour pleurer, il faut du temps aussi… Et qui a le temps ? Et puis, qui va nous donner des congés ? Un jour, peut-être deux jours, c’est tout… Si on prend trop de congés, on va être remplacés… Dieu nous a attribué tellement de peine… quel Allah ? Quel dieu ? Kif kif bourrique. Il y avait cette dame, Shehnaz Memsahib, qu’est-ce qu’il a fait son Allah ? Toute la journée, elle répétait son nom : Allah, Allah. Quand elle n’avait rien de spécial à faire dans la journée, alors elle faisait ses prières, au moins dix ou quinze fois par jour. Là j’exagère, pas dix ou quinze. En fait, elle faisait ses prières cinq fois. Qu’est-ce qu’il était gentil, son mari ! Ils avaient pleins d’enfants. Ils en ont beaucoup, non ?… comment on dit… À la grâce d’Allah ! Son mari avait une boutique d’objets en plastique dans le bazar de Crawford Market. Ils s’aimaient beaucoup tous les deux. Shehnaz Mem-Sahib portait toujours le voile. Je lui ai dit plusieurs fois : Regardez, Memsahib, il fait si chaud et vous avez mis une tente noire sur vous. Vous n’avez pas chaud avec ça ? Alors, elle disait en riant :
“नहीं सकुबाई ये तो हमारा रिवाज है।” « Non, Sakubai, c’est notre coutume. »
इतनी अच्छी औरत। और उसके रिश्तेदार।- C’était une femme vraiment gentille… mais ses parents, alors !
“शहनाज तो ऐसी है वैसी है पर्दा नहीं करती।” अरे क्या परदा नहीं करती। दिन भर तो तम्बू में बैठी रहती है। परदा नहीं करती।… उसका आदमी भी बोलता- « Shehnaz est comme ci, et puis comme ça. Elle ne porte pas le voile comme il faut. » N’importe quoi ! Elle était toujours sous sa tente noire… Et elle ne porte pas le voile comme il faut ? Son mari aussi lui disait :
“शहनाज इतना पर्दे में मत रहा करो।” « Shehnaz, ne reste pas sous ton voile tout le temps ! »
बड़ी अच्छी औरत थी।… उस पर अल्लाह ने क्या किया उसके साथ?… उसका आदमी दुकान से घर आ रहा था तो रास्ते में एक ट्रकवाले ने उड़ा दिया। तब अल्लाह उसे बचाने नहीं अग्या।… एक झटके में सब खत्म हो गया। मैं बोली- “मेम साब आप दिन-रात अल्लाह-अल्लाह करती थीं। उसने क्या दिया आपको?…” इस पर वो बोली- C’était une femme vraiment bien. Et puis, vous savez ce qu’Allah lui a fait ? Un jour, alors que son mari rentrait de la boutique, un chauffeur de poids-lourd l’a fait voler dans les airs. Hélas, Allah n’est pas venu le sauver ! En un clin d’œil, tout était fini… j’ai dit : « Madame, jour et nuit vous répétez, Allah, Allah. Qu’est-ce qui vous a donné en retour ? » Alors elle a répondu :
“नहीं सकुबाई। ऐसा नहीं बोलते।… शायद उनकी यहाँ से ज्यादा वहाँ जरूरत होगी।…” « Non, Sakubai. On ne parle pas comme ça. Peut-être qu’on a plus besoin de mon mari là-haut qu’ici. »
इतनी अच्छी औरत।… फिर आ गए उसके रिश्तेदार… दुकान हड़पने।… दिन-भर उसी का खाते थे और अब।… इतना सब होने के बावजूद उसने हिम्मत नहीं हारी।… वही औरत शहनाज जिसका नाम। पर्दा उठाया और निकल पड़ी मर्दों की दुनिया में।… क्रॉफेड मार्केट में मर्दों के बीच।… बच्चों से कहा- C’était une femme si gentille… Puis, ils sont arrivés, les parents… pour lui voler la boutique. C’est elle qui leur faisait à manger tous les jours… après tout ce qui s’était passé, elle n’a jamais perdu courage… Cette même femme, Shehnaz, elle a enlevé son voile, elle est sortie… Au beau milieu du bazar de Crawford Market, dans le milieu des hommes… Elle a dit à ses enfants :
“बच्चो तुम घर संभालो। मैं दुकान संभालती हूँ और फिर क्या दुकान चली कि पूछो मत।…” एकदम दौड़ने लगी। « Les enfants, prenez soin de la maison, je m’occuperai de la boutique. » Il fallait voir comment elle a marché, cette boutique ! Elle s’est mise à galoper !
बस फिर क्या था, किसी की हिम्मत जो उसे औँख उठाकर देखे।… अब वही रिश्तेदार कहते हैं- Comme par miracle, personne n’osait la voir en levant les yeux… et maintenant, ces mêmes parents disent :
“शहनाज अभी तुम्हारी उम्र ही क्या है? तुम्हें दूसरी शादी कर लेनी चाहिए।” « Shehnaz, tu es encore jeune. Tu devrais te remarier : »
तो वो मुस्कराकर कहती- Alors elle répond en souriant :
“मेरी शादी तो हो चुकी है इस दुकान के साथ।…” « Je suis déjà mariée avec cette boutique… »
इतनी हिम्मत वाली औरत।… लेकिन उसके पास इतनी हिम्मत कहीं से आई?… अरे बाबा ये हिम्मत उसे उसके अल्लाह ने ही तो दी होगी।… माफ करना अल्लाह जी माफ करना।… पर पता नहीं हमारे विठ्ठोबा कब प्रसन्न होंगे?… Ah, le courage de cette femme… mais où est-ce qu’elle le puisait tout ce courage ? Ah là, là, je pense que ce courage, c’est son fameux Allah… qui devait le lui donner… Désolée Allah-ji, désolée… Mais je ne sais pas quand Vishnu, notre dieu à nous, viendra nous secourir !
तभी टेलिफ़ोन की घंटी बजती है। Le téléphone sonne.
हलो। कौन चाहिए।… अच्छा खन्ना भाभी जी।.. मेम साब तो नहीं हैं।.. आज वो अपनी मम्मी के घर गईं। [फ़ोन पर हाथ रखकर ऑडिमेन्स से कहती है] मेमसाब से सब अपना ब्यूटी पार्लर का काम मोफ़त में कराती हैं।… नहीं क्यों?… साहब मेम साब तो ठीक हैं।… नहीं कोई प्राब्लम नहीं है।… हमारी मेम साब क्या साहब से झगड़ा करके ही मम्मी के वहीं जाएँगी?… भाभी जी आप मेरे से ऐसी बात क्यूँ पूछते हो? आपको जो भी पूछना है मेम साब से पूछो न डायरेक्ट… तुम फ़ोन रखो मैं रखती।… Allo ? Vous voulez parler à qui… Ah oui, c’est belle-sœur Khanna. Madame n’est pas là. Elle est allée chez sa mère aujourd’hui. [Elle pose sa main sur le combiné et parle avec impertinence.] Celle-là, alors, elle fait faire tous ses soins de beauté par Madame, gratos… en même temps, elle a raison… Monsieur et Madame… ça va… Pas de problème !… [Au téléphone.] C’est pas parce qu’elle est chez sa mère qu’elle s’est disputée avec Monsieur ! Belle-sœur Khanna, pourquoi cette question ? Tout ce que vous voulez savoir, vous n’avez qu’à demander à Madame directement !… Posez-le combiné, je vais raccrocher…
फ़ोन रख देती है। Elle raccroche.
[गुस्से में] साली जाडी बड़ी चालू औरत है।… पार्टी में आती है तो आधा खाना खुद ही खा जाती है। वेरी… टेस्टी।… वेरी टेस्टी। कहती हुई सीधा किचन में घुस जाएगी। और बोलेगी- [En colère.] Ah, la grosse pouffiasse, elle est vraiment maline… Quand elle vient pour une soirée, c’est elle qui mange la moitié de la nourriture… tastyvery tasty. Et en disant cela, elle rapplique dans la cuisine et dit :
“हाय सकुबाई, मुझे भी अपनी तरह कुक ला दो न।” अरे क्या कुक ला दो। कुक बेचारी रोटी बनाते-बनाते मर जाएगी और ये खाती जाएगी।… कंचे के बराबर तो जूड़ा बनाती है… वो जो हमारे गाँव में खेलते हैं बच्चे वो।… और उसके ऊपर से गजरा चिटका के आती है।… पार्टी में दस बार तो इसका पल्लू गिरता है। जैसे कि देखो जी… हमारे पास है।… अरे उसमें दिखाने का क्या। भगवान ने सबको दिया है।… किसी का छोटा किसी का बड़ा।… « Hi, Sakubai. Tu devrais me trouver une bonne cuisinière comme toi. » Lui trouver une cuisinière, à elle ? La pauvre cuisinière mourra à force de faire des chappattis pendant que l’autre se goinfre… Son chignon, il est tout maigrichon… Et elle vient plaquer sa guirlande de fleurs par-dessus… à la soirée, son pan de sari tombe dix fois. Comme si elle disait… moi, j’en ai… eh bien, pas de quoi s’en vanter ! Dieu en a donné à tout le monde… des gros seins ou des petits.
एक बार तो उसने कमाल ही कर दिया। हमारे घर में पार्टी चल रही थी। उसमें ये आई हुई थी।… बाहर के बाथरूम में कोई गया था तो ये मेम साब के बेडरूम वाले बाथरूम में गई। उसी समय मैं भी बाथरूम में टॉवेल रखने को घुसी। तो मैंने देखा कि ये मेम साब की मेकअप वाली टेबल की दराज में से कुछ निकालकर पर्स में रख रही है। मुझे देखकर एकदम सीधी हो गई और कहने लगी- Un jour, ça a été le pompon avec elle. Il y avait une soirée à la maison. Elle était présente… Les toilettes du salon étaient occupées, alors elle s’est dirigée vers les toilettes de la chambre à coucher de Madame. Je rentre dans la salle de bain pour poser une serviette… et qu’est-ce que je vois ?… Elle venait de sortir quelque chose du tiroir de la coiffeuse de Madame et le glissait dans son sac à main… En me voyant arriver, elle se redresse et bafouille :
“सकुबाई… मैं… मैं वो टिश्यू ही टिश्यू ढूँढ रही थी।” « Je… je… euh… je cherche des mouchoirs… des mouchoirs. »
मैंने कहा- “मेम साब टिश्यू तो आपके सामने पड़ा है। बाहर हाल में भी है।” हर जगह टिश्यूटिश्यू है। मुझे शक हुआ। मैं सीधी मेम साब के पास गई और धीरे से उन्हें बताया।… तो वे बोली- Je lui ai répondu : « Mais les mouchoirs sont là, juste devant vous. Et il y en a aussi dehors, dans le salon. » Des mouchoirs… des mouchoirs… il y en a partout dans la maison ! C’était pas clair ! Je suis alors allée voir Madame et je lui ai raconté discrètement… Alors elle a répondu :
“नहीं-नहीं सकुबाई। ऐसा नहीं हो सकता। तुम्हें कोई गलतफहमी हुई है।” « Non, non Sakubai. Ce n’est pas possible ! Il y a sûrement une erreur. »
मैं बोली- पहले आप चलकर मेकअप वाली दराज में चेक कर लो। वो फिर भी नहीं मानी। मैंने कहा- देख लो बाद में मत बोलना। मैं अकेली काम करने वाली बाई। बात मुझ पर आएगी। कुछ भी हो चोर तो हम लोगों को ही समझा जाता है। मेम साब ने दराज चेक की तो एकदम डर गई… हीरे की अँगूठी गायब। उन्होंने अँगूठी पार्टी में पहनने के लिए निकाली थी। फिर भूल गईं। मेम साब ने साहब को अन्दर बुलाया। साहब बोले- J’ai dit : « Je vous invite à aller vérifier dans le tiroir de la coiffeuse dans la salle de bains. » Elle ne m’a pas écoutée. J’ai dit : « Au moins, allez voir, ne m’accusez pas après ! Je suis la seule soubrette à travailler ici. Ça va me retomber dessus. Quoi qu’il arrive, c’est toujours nous, les voleurs… » Madame est allée vérifier dans le tiroir et elle est devenue blanche comme un linge… la bague en diamant avait disparu. Elle l’avait posée là pour la mettre puis l’avait oubliée. Madame a appelé Monsieur dans la chambre. Monsieur a dit :
“नो-नो पूजा ऐसे कैसे हो सकता है?” « Non, non, Puja, comment est-ce possible ? »
मैंने कहा- “देख लो साहब हो गया।…” J’ai répondu : « Regardez par vous-même, Monsieur, c’est arrivé… »
साहब बोले- “अब क्या करें?” Monsieur a dit : « Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? »
मैं बोली- “वो आप मेरे ऊपर छोड़ दो। वो साली जाडी को तो मैं सीधा कर दूँगी।” J’ai dit : « Ça, je m’en charge. Cette grosse pouffiasse, je vais lui donner une bonne leçon ! »
मेम साहब बोली- “सकुबाई। वो बहुत बड़े आदमी की वाइफ़ है।” Madame a dit : « Attention, c’est l’épouse d’un très grand Monsieur. »
मैं बोली- “अरे बड़े आदमी की वाइफ़ को वैसा बड़प्पन भी तो आना चाहिए और फिर अमीर होना बड़प्पन की गारण्टी तो नहीं।…” साली चोर… मैं मेम साब को बोली- “आप चिन्ता मत करो। कोई शोर नहीं होगा। कोई लफड़ा नहीं होगा। आपकी चीज आपके पास आ जाएगी बस।” J’ai répondu : « D’accord, Madame. Alors Sa grandeur aussi devrait être de la même taille. Être riche, ce n’est pas synonyme d’être grand… » Espèce de voleuse… J’ai dit à Madame : « Ne vous inquiétez pas ! Il n’y aura pas de vagues. Et votre objet perdu vous sera rendu. »
साहब बोले- Monsieur m’a dit :
“हाँ सकुबाई कुछ करो।… कुछ करो यार।” « Oui, Sakubai, fais quelque chose… trouve une solution, allez mon petit. »
मैं बाहर आ गई। आई तो देखती क्या हूँ वो हॉल में बैठकर लपक-लपक के काजू खा रही थी। मैं वहीं दरवाजे के पास खड़ी उसको देखती रही।… एक दो मिनट के बाद डाँस का म्यूजिक चालू हुआ।… उसे डाँस करने का बहुत शौक है। और डाँस करने में उसका दो-तीन बार साड़ी का पल्लू नीचे गिरना ही गिरना।… तो वो अपना पर्स रखकर डाँस करने के लिए खड़ी हो गई।… हमारे एक पड़ोसी हैं डाक्टर अग्रवाल साहब। उनके साथ डाँस करने लगी। अग्रवाल साहब को डाँस करने का बहुत शौक है। उनको डाँस करना नहीं आता। वो हमेशा रेलगाड़ी चलाते हैं। ऐसे… Je suis retournée dans le salon et qu’est-ce que je vois ? Elle se goinfrait de noix de cajou. Je suis restée près de la porte à l’observer…Après une ou deux minutes, la musique a commencé… Elle adore danser. Et quand elle danse, le pan de son sari tombe au moins deux ou trois fois… Elle a posé son sac à main et elle s’est levée pour aller danser… On a un voisin, le docteur Agarwal-Sahab. Elle a commencé à danser avec lui. Agarwal-Sahab adore danser. Il ne sait pas danser alors il fait la locomotive. Comme ça…
मैंने एकदम मौका देखकर पास ही टेबल पर रखा उसका पर्स उठा लिया। और साड़ी के पल्लू में छिपाकर किचन में ले गई। किचन में जाकर पर्स खोला तो उसमें हीरे की अँगूठी।… मैंने झट से उसमें से अँगूठी निकाली और पर्स बन्द किया और हॉल में आ गई। मैंने देखा कि वो साली जाडी अभी भी नाच रही थी। मैंने मौका देखकर पर्स वहीं धीरे से वापस रख दिया। मेम साब को साइड में बुलाया और अँगूठी उनके हाथ में दे दी। अँगूठी देखकर मेम साब बोलीं- J’ai sauté sur l’occasion. Vite, j’ai attrapé son sac à main. Je l’ai caché sous le pan de mon sari et je l’ai emporté dans la cuisine. Une fois dans la cuisine, j’ai ouvert le sac, et elle était là, la bague en diamant… Vite, j’ai sorti la bague, j’ai refermé le sac et je suis retournée dans le salon. La grosse pouffiasse était toujours en train de se trémousser. Profitant de l’occasion, j’ai reposé discrètement le sac à sa place. J’ai fait signe à Madame et je lui ai mis la bague dans la main. En voyant la bague Madame a dit :
“सक्कू।…” « Saku… »
मैंने कहा- बक्कू…जब पार्टी खत्म हुई तो वो किचन में आई और दो-तीन दाने इलायची और लौंग के मुँह में रखकर बोली- “बाई… सकुबाई… बाई।…” J’ai répondu : « Baku ! »… Après la fête, elle est venue me remercier dans la cuisine, et hop ! elle a mis deux ou trois graines de cardamome et de clous de girofle dans ma bouche et elle a dit : « Bai… Sakubai…Bai… »
मैंने कहा बाई की बच्ची बड़ी इतरा रही होगी। सोच रही होगी कि इस घर से बड़ी कमाई करके ले जा रही है।… घर जाकर पर्स खोलकर देखेगी… तब पता चलेगा कि किसी ने उसकी वाट लगा दी। Et moi je pensais à l’autre : Ah, l’espèce de poufiasse ! Elle doit être en train de se pavaner… se vanter d’avoir accompli un exploit, piquer la bague… et une fois rentrée chez elle, quand elle va ouvrir son sac à main, elle va voir ce qu’elle va voir… comme elle s’est fait avoir !
नादिरा ज़हीर बब्बर Traduction : Jyoti Garin, Justine le Goff et Sophie-Lucile Daloz
Sakubai s’assoit sur le sofa et regarde l’horloge. Elle attrape un magazine de cinéma posé sur le sofa et commence à le feuilleter.
Ah mon dieu, il est déjà tard. J’aime bien la superstar Dilip Kumar. Autrefois, dans les films, on voyait le monde de la terre. Maman, elle, aimait bien l’acteur Ashok Kumar, et Saili aime bien Kajol… Elle vient de se marier avec un certain Gan (Ajay Devgan). Suman regarde beaucoup les films de la superstar Govinda… Suman, c’est ma belle-sœur, je ne vous en ai pas encore parlé… Nitin s’est marié. Sa femme est très bien. Elle a de petites mains, de tout petits pieds… tout est petit-petit chez elle. Elle adore le cinéma. C’est une femme vraiment très gentille. J’ai dit à maman : tu as dû faire quelque chose de très bien dans ta vie antérieure pour avoir une belle-fille aussi bien. Ils ont un fils Ajit, et une fille, Mina. Elle est très belle. Tout le monde dit que la petite ressemble à sa tante… la tante, c’est-à-dire, moi… Suman m’a beaucoup aidée quand mon mari Yashvant était malade. C’est elle qui m’accompagnait partout… chez le médecin… d’un hôpital à l’autre… ici et puis là-bas…
En fait, je vais vous raconter ce qui s’est passé : il y a à peu près deux ans et demi, mon mari… se sentait pas bien. Parfois il avait de la diarrhée, et ça durait deux ou trois mois… parfois des problèmes pour respirer, deux ou trois mois… la nuit, il n’arrivait même plus à dormir. Il avait toujours un peu de fièvre… Un médecin lui a donné un médicament, un autre médecin, lui a donné un autre médicament… il est devenu maigre comme un fil de fer. Comme ça…
Il pouvait à peine marcher. On lui a conseillé un remède, et puis un autre… aucune amélioration… alors, on est allé consulter un médecin de la ville… il nous a demandé d’aller faire un bilan sanguin. Alors on a fait le bilan sanguin et on est retournés voir ce médecin… Il a vu le bilan et il est resté silencieux… puis il a fait une ordonnance… et il a dit :
« Allez à l’hôpital J.J. »
J’ai demandé : « Pourquoi, Sahâb ? »
Il a dit :
« Pour la maladie que ton mari a, il faut aller à l’hôpital J.J. »
J’ai demandé :
« Quelle maladie ? »
Alors il a dit : « Vous le saurez en allant là-bas. »
Moi et Suman, on a emmené Yashvant à l’hôpital J.J. J’ai fait asseoir Yashvant dans le hall, j’ai laissé Suman à ses côtés pour aller remplir les papiers et voir le médecin… C’est un hôpital public… Dans un hôpital public, personne ne vous écoute, personne ne vous renseigne vraiment. Moi je dis que pour un pauvre, mieux vaut mourir que d’être malade ! Le prix des médicaments… qu’est-ce qu’ils sont chers… sans compter les injections… les consultations… les bilans sanguins ! Et puis, il faut ajouter les fruits… les vitamines… les visites à l’hôpital tous les jours… le ticket de bus… et en plus les congés qu’il faut prendre… comment voulez-vous qu’on y arrive, aré baba !
On a passé la journée… à l’hôpital. Le soir, à cinq heures, Docteur-Sahâb est arrivé. À sept heures trente, c’était notre tour. J’ai accompagné Yashvant à la salle de consultation… Le docteur a dit : « Attendez dehors… »
Il a parlé avec mon mari, seul à seul, pendant dix minutes ou un quart d’heure.
Puis, il m’a appelée et il a dit :
« Il faut que tu fasses un bilan sanguin pour toi et ta fille… »
Puis, il m’a demandé de partir… alors moi et Suman, on a aidé mon mari à sortir de l’hôpital. Et là, sur le trottoir, Yashvant a éclaté en sanglots. J’ai demandé plusieurs fois : « Yashvant, pourquoi tu pleures ? Qu’est-ce qu’il a dit le docteur ? » Mais il n’a pas répondu, il a continué à pleurer… Après un moment, il s’est levé lentement et il a dit :
« Demain matin, la première chose que vous ferez, toi et Saili, c’est un bilan sanguin, et puis vous reviendrez ici… »
Arrivé à la maison, il a pris Saili dans ses bras et il l’a serrée tendrement, il continuait à pleurer… Le lendemain matin, au lever, moi et Saili, on est allées faire une prise de sang et on a apporté le bilan au médecin. Le médecin a vu le papier, il a dit :
« Bien… très bien… vous deux, vous êtes sauvées… »
Saili a dit aussitôt : « Docteur Sahâb, est-ce que Papa a le sida ? »
Le docteur a répondu : « Oui, il l’a. »
« Toutes les deux, vous devez faire vraiment très attention maintenant… il vivra six mois tout au plus. »
Puis, il m’a dit : « Maintenant, il ne faut plus coucher avec ton homme. Dans un ou deux mois, on le mettra à l’hôpital… Pour le moment, il n’y a pas de place. »
Puis, il a fait une ordonnance et il a dit :
« Allez acheter ça à la pharmacie et donnez-lui les médicaments en respectant les horaires… »
Toutes les deux, on est rentrée en pleurant et en se frappant la poitrine. Yashvant était déjà prêt avec son baluchon… Dès qu’il m’a vue, il a dit :
« Saku, qu’est-ce qu’il a dit, le médecin… ? Dis-moi… qu’est-ce qu’il t’a dit ? »
J’ai répondu : « Nous deux, on n’a pas cette maladie-là. » Alors il était tout heureux et il a dit :
« Seigneur… Dieu… ô mère divine Ambâ… ô mère divine Bhavâni… Je te remercie des milliers de fois… ô mère du monde… Mille mercis à toi… »
Alors j’ai demandé : « Pourquoi tu as préparé ce baluchon ? »
Il a répondu : « Je ne vais plus habiter ici… je vais aller au village… chez mon frère, un point, c’est tout. »
J’ai tenté de le raisonner : « Le médicament que Docteur Sahâb a prescrit. Je l’ai apporté… »
Il a répondu : « Et alors ? Je vais vivre encore trois ou quatre mois, tout au plus, non ? Je n’ai pas envie de mourir ici à Bombay… Je vais au village… Je vais habiter là-bas. »
J’ai répondu : « Je vais te faire rentrer à l’hôpital ici et je vais m’occuper de toi… avec les médicaments et tout ce qu’il faut… »
Alors, il a répondu : « Pourquoi faire ? ça va changer quoi… et s’il arrivait quelque chose à Saili entre-temps par ma faute ? Non, Saku, laisse-moi partir… c’est mieux pour tout le monde… C’est le fruit de mes propres actes, vous n’avez pas à en subir les conséquences… »
Alors il a pris son baluchon et il a dit : « Tous les mois, vous viendrez me voir… » Saili a couru, elle s’est cramponnée à lui et a commencé à pleurer… Alors il lui a expliqué doucement, avec beaucoup de tendresse :
« Ma fille, si tu commences à pleurer, qu’est-ce qu’elle va devenir, ta maman ? Toi, tu as fait des études, tu comprends tout. Je vais vivre très bien là-bas… au grand air… Mon état va peut-être s’améliorer… Toi, occupe-toi bien de ta maman et prenez soin de vous ! Je pensais être quelqu’un de bien : pas d’alcool, pas de jeux d’argent… juste une erreur de parcours… et voilà ! »
Il nous a laissées en pleurs, moi et Saili… On allait au village tous les mois… le troisième mois, son état s’était aggravé… Il était maigre, un vrai squelette, les yeux creux… ses cheveux étaient tombés… il ne pouvait plus se relever… Il restait là, dans les champs, tout seul… Quand j’ai vu son état, j’ai commencé à pleurer à chaudes larmes… j’ai dit :
« Allez, viens avec nous ! On va t’admettre à l’hôpital J.J. »
Alors, il a répondu : « Non. Pourquoi tu veux me salir, m’arracher à mes racines ? Là, à l’hôpital, c’est sale… des malades à perte de vue… Et puis, tu vas devoir te prosterner devant les médecins pour le traitement… à quoi bon ? Je suis bien ici… »
À chaque fois que je disais quelque chose, il me faisait signe de me taire.
Faisant signe de se taire.
« Chut… »
Alors j’ai laissé un peu d’argent à mon beau-frère, quelques fruits, des médicaments et on est rentrées à Bombay… trois jours après, on a reçu un télégramme de mon beau-frère : « Yashvant est dans un état très grave. » On est tous allés, moi, Nitin, Saili et Maman, au village. Il était déjà mort. Mon beau-frère avait fait tous les rites funéraires. Je suis restée là deux jours… j’ai donné l’argent des rituels à mon beau-frère et on est rentrés…, C’était un homme bien, mon mari, vraiment ! Seules les chanceuses trouvent un mari comme lui. Dieu, où qu’il soit… peu importe comment il est… que son âme soit en paix…
ék Vitthal, ék Vitthal
déha Vitthal, tirtha Vitthal
Vitthal-Vitthal, ék Vitthal
déha Vitthal, tirtha Vitthal
Vitthal dév Puja
नादिरा ज़हीर बब्बर Traduction : Jyoti Garin, Justine le Goff et Sophie-Lucile Daloz
Le téléphone sonne.
Allô… Saili… c’est toi… qu’est-ce qui se passe ? Moi, ça va… La Madame m’a demandé de rester… Monsieur part au Japon demain… il faut lui sortir sa valise… Qui ça ?… Ben, fais-les asseoir…Va chercher Suman… Prends bien soin d’eux…prépare-leur du thé ou du café… commande quelque chose de frais au bazar, un soda… et puis, pense à faire pranam [Elle joint les deux mains.] devant la photo de ton père !… Ma princesse chérie… mon adorée… [Gestes de tendresse.] Bon… je raccroche.
Elle pose le combiné. Les mains jointes, elle parle à Dieu.
Ma fille, Saili. Elle est très forte à l’école : Licence de commerce, parmi les premières de sa promo… Elle a obtenu une bourse… Pour le bac aussi, elle était parmi les premiers… [Montrant un journal.] Regardez, sa photo… elle était comme ça ! Les vendeurs de journaux me demandaient :
« Qu’est-ce que ça vous fait de voir la photo de votre fille dans le journal ? »
Fière que j’étais !… Forcément, non ? Je n’arrivais pas à le croire, une année comme celle-là, réussir ses études… Maintenant, elle se consacre à l’écriture… elle écrit des poèmes… elle a même remporté un prix : le prix de Jeunes poètes…
Elle attrape un livre posé sur la table et le montre.
Son livre de poésie, il ressemble à ça… C’était une belle cérémonie. Saili m’avait appelée au téléphone pour m’inviter… Alors après le travail, je suis allée directement la voir… Arrivée là-bas, le vigile m’a arrêtée… j’ai dit : « Je suis la maman de Saili… » alors il m’a regardé de travers. Bah oui, je faisais tache ! Mais je ne l’ai pas compris tout de suite… Je suis un peu longue à la détente !
Faisant une grimace.
Je n’ai pas du tout apprécié ça. Alors je suis rentrée à la maison. J’ai changé de sari… j’en ai mis un avec des fils dorés, un peu de talc… un collier de perles rondes, puis j’ai pris un auto-rickshaw et j’y suis retournée… le même vigile m’a regardée et il m’a dit :
« Humm, je suis un peu long à la détente ! »
Je suis rentrée. Là, il y avait plein de gens très importants. Saili était assise au milieu de l’estrade. De chaque côté, il y avait des gens assis… En me voyant, Saili s’est levée et elle a commencé à m’appeler… Elle m’a attrapé par la main et m’a traîné sur l’estrade… elle a dit :
« C’est ma mère… ma maman… C’est pour elle que j’ai écrit ces poèmes… »
Ses poèmes sont publiés partout. Saili m’a dit un jour : « Ça suffit, tu as suffisamment travaillé… Maintenant, tu arrêtes… Tu vas te reposer à la maison. »
J’ai répondu : mon corps est vieux, certes, mais si je ne travaille pas, je vais tomber malade.
Alors elle a répondu : « Mais non, ne sois si pessimiste, Maman… Nos beaux jours sont là ! Tu voulais faire des études, non ? C’est le moment ! »
Les temps changent. Hier, ma mère me donnait des claques pour que je ne fasse pas d’études. Aujourd’hui, c’est ma fille qui me le demande… les temps ont bien changé… Elle m’a fait apprendre par cœur un de ses poèmes. Je vais vous le réciter :
माँ उठ, सर उठा, देख समय आया है।
सर झुकाए खड़ा है
शर्मिंदा है
कि इतने वर्षों से जो तुझे उसने दुःख दिया
तुझे सताया, रुलाया
तेरा हर सुख छीन लिया
तेरा ही नहीं
तेरी माँ का भी
उसकी माँ का भी
और उसकी माँ का भी
आज वो तुझसे माफी माँगने आया है
कि उसने तेरे साथ बड़ा अन्याय किया
पर वो कहता है कि वो अब अपने को सुधारेगा
अपने आप को बदलेगा, एक नया युग लेकर आएगा
माँ उठ, सर उठा, देख समय आया है।
यूँ हताश न हो
तूने तो सारे जीवन है संघर्ष किया
रानी लक्ष्मी बाई की तरह, तू भी तो एक योद्धा ही है
वो तो केवल एक लड़ाई लड़ी और मर्दानी कहलाई
पर तू तो सदियों से जीवन के संग्राम में हैं
जूझ रही तेरे पाँव चलते-चलते थक गए
तेरे हाथ बर्तन घिसते-घिसते सड़ गए
किसी दिन भी तू जी भर के सो नहीं पाई
तेरे कंधे कपड़े धोते-धोते अकड़ गए
पर माँ, अब तेरे आराम के दिन आए हैं
बैठकर सुस्ताने के, मुस्कुराने के दिन आए हैं
माँ उठ, सर उठा, देख समय आया है।
ये मेरा विश्वास, मेरी आस्था है
समय के साथ चल माँ, वो हमें बुलाता है
तू तो विशाल हृदया सब कुछ सहने वाली
समय भी तो तेरे बच्चे की तरह ही तो है न?
आज जब वो माफी माँगता है तो जाने दे
जीवन को दे-दे एक और मौका
चल माँ उठ, सर उठा, देख समय आया है।
उठ माँ उठ, हाथ बढ़ा, देख समय आया है॥
Mère, lève-toi, redresse la tête, regarde, c’est l’heure.
Le temps est à ta porte,
Tête baissée de honte par tant de douleurs infligées
Depuis tant d’années,
Lui qui t’a bouleversée, qui t’a fait tant pleurer.
Tous tes bonheurs, il te les a arrachés
Non seulement les tiens
Mais encore celui de ta mère,
Et celui de sa mère à elle
Et aussi celui de sa mère.
Aujourd’hui il est venu te demander pardon
Pour la grande injustice qu’il a commise envers toi
Et t’annoncer qu’il va tout réparer.
En se changeant, il va t’offrir une nouvelle ère.
Mère, lève-toi, redresse la tête, regarde, c’est l’heure !
Ne sombre pas dans le désespoir
Toute ta vie, tu as lutté
Tu es une battante comme la reine Lakshmi-bai.
Elle fut surnommée la Virile alors qu’elle n’avait livré qu’un seul combat.
Toi, depuis des générations, tu livres combat sur combat.
Tes pieds sont fatigués à force de marcher, de marcher encore
Tes mains sont abîmées à force de frotter, de frotter encore.
Pas un seul jour, tu n’as trouvé le sommeil du juste.
À force de laver et de frotter le linge, tes épaules se sont tassées.
Mère, maintenant, c’est le temps du repos
Le temps de s’asseoir ; c’est le temps de sourire aussi.
Mère, lève-toi, redresse la tête, regarde, c’est l’heure !
J’ai confiance, voici mon souhait :
Marche avec le temps, ô mère, toi au grand cœur, toi qui endures tout,
Il nous appelle.
Le temps, c’est comme ton enfant, n’est-ce pas ?
Il te demande pardon aujourd’hui, alors pardonne-lui !
Donne une nouvelle chance à la vie !
Mère, viens, redresse la tête, regarde, c’est l’heure !
Mère, lève-toi, redresse la tête, regarde, l’heure est venue…