Gulzar
Footprints on Zero Line
Gulzar est né en 1936 à Deena, dans la région de Jhelum (alors district de l’Inde Britannique, désormais intégré au Pakistan), 11 ans avant la Partition de l’Inde. Cet ouvrage, publié en 2017, recueille poèmes et nouvelles sur cette plaie toujours béante entre les deux pays.
ज़ीरो लाईन | La ligne de démarcation |
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Gulzar | Traduction : Jyoti Garin |
नपे क़दमों से चलते चलते वाघा पर… मैं ज़ीरो लाईन पर आकर खड़ा था जब मेरी परछाईं पाकिस्तान में थी! मेरे पीछे था सूरज… मेरे आगे मेरे अब्बू खड़े थे मुझे देखा… छड़ी टेकी ज़मीं पर मुस्कराए और बोले ‘वहाँ जब मिट्टी छोड़ रही थी… मैं अपने घर चला आया था, पुन्नी!’ मेरे अब्बू मुझे ‘पुन्नी’ बुलाते थे ‘मुझे उम्मीद थी तुम आओगे पुन्नी, कि मेरे अंत की तुमको ख़बर पहुँची नहीं थी! यकीं था आओगे मुझको विदा करने!’ |
À pas comptés, me voici arrivé à Wagah1… Je me suis arrêté devant la ligne de démarcation, Mon ombre, elle, est retournée au Pakistan : Derrière moi, le soleil… Devant moi, debout, mon père. Il m’a vu, A posé sa canne sur le sol Et en souriant m’a dit : « Vois-tu, quand j’ai quitté mon corps, Je suis retourné à la maison, Pounni ! » (C’est ainsi que me surnommait Abbu2.) « J’avais espéré que tu viendrais, Craignant que tu n’aies reçu la nouvelle de ma mort… J’étais sûr que tu viendrais me dire adieu ! » |
बस इक वक़्फ़ा ठिठरके रह गया था छड़ी को खटखटाया फिर ज़मीं पर बढ़ाकर हाथ बोले ‘चलो दीना चलेंगे!’ मेरे अहबाब जो वाघा पे लेने आए थे मुझको पकड़के हाथ मेरा… ले गए लाहौर मुझको वहाँ के शोर-व-गुल में फिर कोई आवाज़ कानों में नहीं आई मगर सन्नाटे का इक रास्ता था जो दिखाई दे रहा था वो रास्ता ‘दीना’ जाता था… |
Tout à coup, l’instant s’est figé. Il a frappé le sol avec sa canne, La main tendue, il m’a dit : « Viens, retournons à Dina ! » Mes amis, venus m’accueillir à Wagah, Me prirent par la main… et m’escortèrent à Lahore. Dans le brouhaha de la ville, pas une voix ne revint à mes oreilles. Seulement un sillon de silence, Et ce sillon menait à Dina… |
बहुत छोटा सा क़स्बा था, कभी वो बहुत छोटा सा गत्तों का बनाया एक स्टेशन था वहाँ सब गाड़ियाँ रुकती नहीं थीं मगर वो ‘लाम’ के दिन थे वही रुकती थीं जिनमें फ़ौजियों के डिब्बे होते थे धुआँ दिखता था गाड़ी का तो दौड़ आता स्टेशन पर उसमें अब्बू हट्टी के लिये सामान लेकर लौटा करते थे… |
À l’époque, c’était une toute petite casbah Avec une minuscule gare en carton-pâte. Tous les trains ne s’y arrêtaient pas. En ces années de « conflit » Seuls ceux bondés de soldats y faisaient halte. Dès que j’apercevais leur fumée, je filais vers la gare Pour accueillir mon père, ses bras chargés de victuailles. |
बस इक बाज़ार था इक ‘टाल्हियों’ वाली सड़क भी थी वो अब भी है मदरसा जहाँ मैं टाट की पट्टी बिछाकर तख़्ती लिखता था गली भी है… वो जिसका इक सिरा खेतों में खुलता था वो दीवारें टटोलीं, कोयले से जिन पे उर्दू लिखा करता था |
Il y avait juste un bazar, Et cette rue, plantée de majestueux banians, Est toujours là. La ruelle où, assis sur un sac de jute, je barbouillais mon ardoise d’écolier Existe encore… Elle, qui s’ouvrait sur les champs, J’en caressais les murs que, de mon fusain, je griffonnais d’ourdou. |
मुझे उम्मीद थी कोई मेरी उंगली पकड़ लेगा मुझे हिज्जे सिखाएगा मगर कोई नहीं आया… मैं शायद छोड़ आया था वहीं वाघा पे उनको मैं लौट आया… |
J’espérais que quelqu’un me tiendrait la main Et la guiderait pour tracer avec soin chaque syllabe Mais personne n’est venu… Peut-être avais-je laissé mon père derrière moi à Wagah Alors m’y voici revenu… |
मैं ज़ीरो लाईन पर आकर खड़ा हूँ मेरे पीछे मेरी परछाईं है, आवाज़ देती है वहाँ जब मिट्टी छोड़ोगे… चले आना तुम्हारा घर यहीं पर है तुम्हारी जन्म भूमि है! वतन है! |
Et me voilà, debout devant cette ligne absurde. Face à moi, mon ombre, restée dans mon passé, m’interpelle : « Où que tu sois, quand tu quitteras ce corps, Reviens, ta maison est bien ici. C’est ici que tu es né, c’est ici ta patrie ! » |
1 | Wagah (hindi: वाघा, ourdou: واەگه, punjabi : ਵਾਘਾ), à mi-chemin entre Amritsar (dans le Punjab indien) et Lahore (capitale du Punjab pakistanais), villes distantes d’environ 60km l’une de l’autre, était jusqu’à 2006 l’unique poste-frontière terrestre entre l’Inde et le Pakistan. Situé sur la ligne de démarcation mise en place par Cyril Radcliffe en 1947, ce village s’est retrouvé coupé en deux, sa partie orientale étant en Inde et sa partie occidentale au Pakistan. |
2 | Terme affectueux pour désigner le père. |
zīro lāīna | La ligne de démarcation |
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Gulzar | Traduction : Jyoti Garin |
nape qadamoṃ se calate calate vāghā para… maiṃ zīro lāīna para ākara khaṛā thā jaba merī parachāīṃ pākistāna meṃ thī! mere pīche thā sūraja… mere āge mere abbū khaze the mujhe dekhā… chaṛī ṭekī zamīṃ para muskarāe aura bole ‘vahāṁ jaba miṭṭī choṛa rahī thī… maiṃ apane ghara calā āyā thā, punnī!’ mere abbū mujhe ‘punnī’ bulāte the ‘mujhe ummīda thī tuma āoge punnī, ki mere aṃta kī tumako khabara pahuṁcī nahīṃ thī! yakīṃ thā āoge mujhako vidā karane!’ |
À pas comptés, me voici arrivé à Wagah1… Je me suis arrêté devant la ligne de démarcation, Mon ombre, elle, est retournée au Pakistan : Derrière moi, le soleil… Devant moi, debout, mon père. Il m’a vu, A posé sa canne sur le sol Et en souriant m’a dit : « Vois-tu, quand j’ai quitté mon corps, Je suis retourné à la maison, Pounni ! » (C’est ainsi que me surnommait Abbu2.) « J’avais espéré que tu viendrais, Craignant que tu n’aies reçu la nouvelle de ma mort… J’étais sûr que tu viendrais me dire adieu ! » |
basa ika vakaqphā ṭhiṭharake raha gayā thā chaṛī ko khaṭakhaṭāyā phira zamīṃ para baṛhākara hātha bole ‘calo dīnā caleṃge!’ mere ahabāba jo vāghā pe lene āe the mujhako pakaṛake hātha merā… le gae lāhaura mujhako vahāṁ ke śora-va-gula meṃ phira koī āvāza kānoṃ meṃ nahīṃ āī magara sannāṭe kā ika rāstā thā jo dikhāī de rahā thā vo rāstā ‘dīnā’ jātā thā… |
Tout à coup, l’instant s’est figé. Il a frappé le sol avec sa canne, La main tendue, il m’a dit : « Viens, retournons à Dina ! » Mes amis, venus m’accueillir à Wagah, Me prirent par la main… et m’escortèrent à Lahore. Dans le brouhaha de la ville, pas une voix ne revint à mes oreilles. Seulement un sillon de silence, Et ce sillon menait à Dina… |
bahuta choṭā sā qasbā thā, kabhī vo bahuta choṭā sā gattoṃ kā banāyā eka sṭeśana thā vahāṁ saba gāṛiyāṁ rukatī nahīṃ thīṃ magara vo ‘lāma’ ke dina the vahī rukatī thīṃ jinameṃ qaujiyoṃ ke ḍibbe hote the dhuāṁ dikhatā thā gāṛī kā to dauṛātā sṭeśana para usameṃ abbū haṭṭī ke liye sāmāna lekara lauṭā karate the… |
À l’époque, c’était une toute petite casbah Avec une minuscule gare en carton-pâte. Tous les trains ne s’y arrêtaient pas. En ces années de «conflit» Seuls ceux bondés de soldats y faisaient halte. Dès que j’apercevais leur fumée, je filais vers la gare Pour accueillir mon père, ses bras chargés de victuailles. |
basa ika bāzāra thā ika ‘ṭālhiyoṃ’ vālī saṛaka bhī thī vo aba bhī hai madarasā jahāṁ maiṃ ṭāṭa kī paṭṭī bichākara takhtī likhatā thā galī bhī hai… vo jisakā ika sirā khetoṃ meṃ khulatā thā vo dīvāreṃ ṭaṭolīṃ, koyale se jina pe urdū likhā karatā thā |
Il y avait juste un bazar, Et cette rue, plantée de majestueux banians, Est toujours là. La ruelle où, assis sur un sac de jute, je barbouillais mon ardoise d’écolier Existe encore… Elle, qui s’ouvrait sur les champs, J’en caressais les murs que, de mon fusain, je griffonnais d’ourdou. |
mujhe ummīda thī koī merī uṃgalī pakaṛa legā mujhe hijje sikhāegā magara koī nahīṃ āyā… maiṃ śāyada choṛa āyā thā vahīṃ vāghā pe unako maiṃ lauṭa āyā… |
J’espérais que quelqu’un me tiendrait la main Et la guiderait pour tracer avec soin chaque syllabe Mais personne n’est venu… Peut-être avais-je laissé mon père derrière moi à Wagah Alors m’y voici revenu… |
maiṃ zīro lāīna para ākara khaड़्ā hūṁ mere pīche merī parachāīṃ hai, āvāza detī hai vahāṁ jaba miṭṭī choṛoge… cale ānā tumhārā ghara yahīṃ para hai tumhārī janma bhūmi hai! vatana hai! |
Et me voilà, debout devant cette ligne absurde. Face à moi, mon ombre, restée dans mon passé, m’interpelle : « Où que tu sois, quand tu quitteras ce corps, Reviens, ta maison est bien ici. C’est ici que tu es né, c’est ici ta patrie ! » |
1 | Wagah (hindi: वाघा, ourdou: واەگه, punjabi : ਵਾਘਾ), à mi-chemin entre Amritsar (dans le Punjab indien) et Lahore (capitale du Punjab pakistanais), villes distantes d’environ 60km l’une de l’autre, était jusqu’à 2006 l’unique poste-frontière terrestre entre l’Inde et le Pakistan. Situé sur la ligne de démarcation mise en place par Cyril Radcliffe en 1947, ce village s’est retrouvé coupé en deux, sa partie orientale étant en Inde et sa partie occidentale au Pakistan. |
2 | Terme affectueux pour désigner le père. |
Voici une lecture de ce poème par Fahad Husain :
दस्तक | On frappe à la porte |
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Gulzar | Traduction : Jyoti Garin, Martine Gobert |
सुबह-सुबह इक ख़्वाब की दस्तक पर दरवाज़ा खोला, देखा सरहद के उस पार से कुछ मेहमान आए हैं आँखों से मानूस थे सारे चेहरे सारे सुने सुनाए |
De bon matin, j’ai ouvert à un songe qui frappait à ma porte, et j’ai vu Des hôtes venus de l’autre côté de la frontière. Je les connaissais tous de vue, Leurs visages m’étaient familiers. |
पाँव धोए, हाथ धुलाए आँगन में आसन लगवाए और तन्नूर पे मक्कई के कुछ मोटे-मोटे रोट पकाए पोटली में मेहमान मेरे पिछले सालों की फ़सलों का गुड़ लाए थे |
Je leur ai lavé les pieds, offert l’eau pour se laver les mains, Présenté un siège dans la cour, Puis de gros pains de maïs furent cuits dans le four tandoor. Dans un balluchon, mes hôtes Avaient apporté des pains de sucre de palme, récoltes des années précédentes. |
आँख खुली तो देखा घर में कोई नहीं था हाथ लगाकर देखा तो तन्नूर अभी तक बुझा नहीं था और होंठों पर मीठे गुड़ का ज़ायक़ा अब तक चिपक रहा था |
Lorsque j’ai ouvert les yeux, il n’y avait personne dans la maison. J’ai touché le four tandoor : il était encore tout chaud Et mes lèvres, toutes collantes, gardaient la douce saveur du pain de sucre. |
ख़्वाब था शायद! ख़्वाब ही होगा! |
C’était peut-être un songe… C’était sûrement un songe ! |
सरहद पर कल रात, सुना है, चली थी गोली सरहद पर कल रात, सुना है कुछ ख़्वाबों का ख़ून हुआ था! |
À la frontière, la nuit dernière, il paraît qu’on entendait le crépitement d’une fusillade, À la frontière, la nuit dernière, il paraît Que des songes ont été foudroyés ! |
دستک | On frappe à la porte |
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Gulzar | Traduction : Jyoti Garin, Martine Gobert |
صبح صبح اک خواب کی دستک پر دروازہ کھولا' دیکھا سرحد کے اس پار سے کچھ مہمان آئے ہیں آنکھوں سے مانوس تھے سارے چہرے سارے سنے سنائے |
De bon matin, j’ai ouvert à un songe qui frappait à ma porte, et j’ai vu Des hôtes venus de l’autre côté de la frontière. Je les connaissais tous de vue, Leurs visages m’étaient familiers. |
پاؤں دھوئے، ہاتھ دھلائے آنگن میں آسن لگوائے اور تنور پہ مکی کے کچھ موٹے موٹے روٹ پکائے پوٹلی میں مہمان مرے پچھلے سالوں کی فصلوں کا گڑ لائے تھے |
Je leur ai lavé les pieds, offert l’eau pour se laver les mains, Présenté un siège dans la cour, Puis de gros pains de maïs furent cuits dans le four tandoor. Dans un balluchon, mes hôtes Avaient apporté des pains de sucre de palme, récoltes des années précédentes. |
آنکھ کھلی تو دیکھا گھر میں کوئی نہیں تھا ہاتھ لگا کر دیکھا تو تنور ابھی تک بجھا نہیں تھا اور ہونٹوں پر میٹھے گڑ کا ذائقہ اب تک چپک رہا تھا |
Lorsque j’ai ouvert les yeux, il n’y avait personne dans la maison. J’ai touché le four tandoor : il était encore tout chaud Et mes lèvres, toutes collantes, gardaient la douce saveur du pain de sucre. |
خواب تھا شاید! خواب ہی ہوگا! |
C’était peut-être un songe… C’était sûrement un songe ! |
سرحد پر کل رات، سنا ہے ،چلی تھی گولی سرحد پر کل رات، سنا ہے کچھ خوابوں کا خون ہوا تھا! |
À la frontière, la nuit dernière, il paraît qu’on entendait le crépitement d’une fusillade, À la frontière, la nuit dernière, il paraît Que des songes ont été foudroyés ! |
दस्तक | On frappe à la porte |
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Gulzar | Traduction : Jyoti Garin, Martine Gobert |
subaha-subaha ika khvāba kī dastaka para daravājazā kholā, dekhā sarahada ke usa pāra se kucha mehamāna āe haiṃ āṁkhoṃ se mānūsa the sāre cehare sāre sune sunāe |
De bon matin, j’ai ouvert à un songe qui frappait à ma porte, et j’ai vu Des hôtes venus de l’autre côté de la frontière. Je les connaissais tous de vue, Leurs visages m’étaient familiers. |
pāṁva dhoe, hātha dhulāe āṁgana meṃ āsana lagavāe aura tannūra pe makkaī ke kucha moṭe-moṭe roṭa pakāe poṭalī meṃ mehamāna mere pichale sāloṃ kī fasaloṃ kā guṛa lāe the |
Je leur ai lavé les pieds, offert l’eau pour se laver les mains, Présenté un siège dans la cour, Puis de gros pains de maïs furent cuits dans le four tandoor. Dans un balluchon, mes hôtes Avaient apporté des pains de sucre de palme, récoltes des années précédentes. |
āṁkha khulī to dekhā ghara meṃ koī nahīṃ thā hātha lagākara dekhā to tannūra abhī taka bujhā nahīṃ thā aura hoṃṭhoṃ para mīṭhe guṛa kā zāyaqā aba taka cipaka rahā thā |
Lorsque j’ai ouvert les yeux, il n’y avait personne dans la maison. J’ai touché le four tandoor : il était encore tout chaud Et mes lèvres, toutes collantes, gardaient la douce saveur du pain de sucre. |
khvāba thā śāyada! khvāba hī hogā! |
C’était peut-être un songe… C’était sûrement un songe ! |
sarahada para kala rāta, sunā hai, calī thī golī sarahada para kala rāta, sunā hai kucha khvāboṃ kā khūna huā thā! |
À la frontière, la nuit dernière, il paraît qu’on entendait le crépitement d’une fusillade, À la frontière, la nuit dernière, il paraît Que des songes ont été foudroyés ! |