
Harindranath Chattopadhyay
Tukaram
Les éditions Gallimard ont publié en 1989 un recueil de poèmes de Tukaram, dans la collection « Connaissance de l’Orient ».
Characters | Personnages |
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Tukaram Avalai, his wife Their children Rameshwar, the haughty Brahmin His two disciples Three neighbours The Lord Vithoba Rukmini, his wife Servants from Sivaji Crowd |
Tukaram Avalai, sa femme Leurs enfants Rameshwar, le brâhmane arrogant Ses deux disciples Trois voisins Le Seigneur Vithoba Rukmini, sa femme Dévots de Shiva La foule |
Scene 1 | Scène 1 | ||
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Harindranath Chattopadhyay | Traduction : Francine De Perczynski et Jyoti Garin | ||
[In Tukaram’s house. Tukaram, surrounded by his children, is singing a hymn to the accompaniment of a tanpura.] | [Chez Tukaram. Entouré de ses enfants, Tukaram chante un hymne accompagné d’un tanpura.] | ||
Tukaram |
My Hari’s name is like a tree Which spreads its branches far and wide. My Hari’s name is like a tree Which spreads its boughs on every side. Its branches spread from age to age Across the years, and months, and hours, See how they bend beneath the weight Of mellow fruits and mellow flowers. My heart was once a restless bird But it is very quiet now. It never says a single word But sits alone upon a bough, Upon a bough of Hari’s name Grown comrade to the fruits and flowers And in the still enchanted light Spends nectarous enchanted hours. |
Tukaram |
Le nom de mon Hari est comme un arbre Qui étend ses branches toujours plus loin Le nom de mon Hari est comme un arbre Qui étend ses rameaux de tous côtés. Ses branches s’étendent à travers les âges À travers les années, les mois et les heures. Voyez comme elles se courbent sous le poids Des fruits mûrs et des fleurs épanouies ! Jadis mon cœur était un oiseau agité, Mais à présent il est très paisible. Aucune parole ne sort jamais de sa bouche. Il se tient seul sur un rameau, Un rameau du nom de Hari Nourri, amis, de fruits et de fleurs Et dans la lumière immobile et enchantée, Coule de délicieuses heures enchantées. |
[Enter Tukaram’s wife, a good woman grown weary with long sorrow. In her hand she brings an earthen pot.] | [Entre la femme de Tukaram, une femme bonne, lassée par la tristesse. Elle tient un pot en terre à la main.] | ||
Avalai |
I’ve half a mind to break this earthen pot Across your pate which is no better than A leaky pot of clay through which escapes The muddy water of your Hari’s name, Drop by monotonous drop. I tell you, Sir! The day your tongue grows tired of calling out To Pandurang the sun will cease to rise. |
Avalai |
J’ai bien envie de briser ce pot de terre Sur ta caboche qui ne vaut guère mieux Qu’un pot d’argile percé au travers duquel s’échappe L’eau boueuse du nom de ton Hari, Goutte après goutte, monotone ! Je vous préviens, Monsieur Le jour où votre langue sera épuisée à force de crier le nom De Pandourang, le soleil cessera de se lever ! |
Tukaram | Then will the world cry out in terrible dark. | Tukaram | Alors le monde lancera son cri dans de terribles ténèbres. |
Avalai |
You weary me with words. You weary me With the long drowsy droning of your hymns Which say the same thing over and over again. |
Avalai |
Tu m’épuises avec tes paroles, tu m’épuises Avec le long débit monocorde et soporifique de tes hymnes Qui radotent la même chose, encore et encore. |
1st Child |
O Mother, do the winds and clouds and stars Not say the same thing over and over again? |
1er enfant |
Maman, les vents, les nuages et les étoiles Ne racontent-ils pas toujours la même chose ? |
2nd Child | And do they weary you with their old words? | 2ème enfant | Et t’épuisent-ils avec leurs antiques paroles ? |
Avalai |
[Slapping them] I beat you, beat you, beat you all day long. And yet you never, never seem to change. |
Avalai |
[Les giflant] Je vous frappe, et frappe, et vous frappe encore Et pourtant, vous semblez ne jamais, jamais changer. |
1st Child | For we are like the stars and clouds and winds. | 1er enfant | Car nous sommes pareils aux étoiles, aux nuages et aux vents. |
2nd Child | And like eternal things which never change. | 2ème enfant | Et pareils aux lois éternelles qui ne changent jamais. |
Tukaram |
We are the lovers of the changeless One And, loving Him, our bodies have become Transmuted into tranquil diamond jars Filled to the brim with the dim honey of dreams. |
Tukaram |
Nous sommes les adorateurs de l’Immuable Et, à force d’amour, nos corps se sont Transmués en amphores de diamant tranquilles, Remplies à ras bord du miel sombre des rêves. |
Avalai |
If only I were not your woman, Sir! And not the mother of your prattling children, I would have flourished a stout firewood log Across your backs and, breaking them in two, Have made your adamantine diamond jars Confess an ancestry of earthen pots! |
Avalai |
Si seulement je n’étais pas votre femme, Monsieur ! Ni la mère de vos enfants furieusement jacasseurs, J’aurai abattu une énorme bûche Sur votre dos, et le brisant en deux, J’aurais obligé vos amphores de diamants corindon À révéler leur origine de pot de terre ! |
Tukaram | The dead wood touching us would bloom to flowers. | Tukaram | En nous touchant, le bois mort aurait refleuri. |
Avalai |
How can your touch make dead wood bloom to flowers, You, you who are yourself more dead than wood! The whole town talks about you with contempt And calls you by a hundred crooked names And yet you never, never say a word. |
Avalai |
Comment, en vous touchant, le bois mort peut-il refleurir, Vous, qui êtes vous-même plus mort que le bois ! La ville toute entière parle de vous avec mépris Et vous affuble de centaines de noms d’oiseaux Et pourtant, jamais, jamais, vous ne dites rien ! |
1st Child | My father is as silent as the heavens. | 1er enfant | Mon père est aussi silencieux que les cieux. |
2nd Child | Which only shows my father is a saint. | 2ème enfant | Ce qui démontre tout simplement que mon père est un saint. |
Avalai |
You mean it shows your father is a fool! For fools are the saints who spend their days Shifting black beads about along a string To a mechanically muttered name, Who wear pale beads of wood around their throats And paint their foreheads with a yellow paste, And make the night go giddy with their dance, Who burst the golden ear-drums of the world With riots of rattles, storm of cymbal-clangs. |
Avalai |
Vous voulez dire que cela démontre que votre père est un imbécile ! Car les saints sont des imbéciles qui passent leurs journées À égrener un chapelet de perles noires En marmonnant machinalement un nom. Ils portent des perles de bois clair autour du cou Et s’enduisent le front d’une pâte jaune, Et avec leur danse, donnent le tournis à la nuit, et éclatent les tympans dorés du monde Avec leurs orgies de crécelle et leur orage métallique de cymbales ! |
Tukaram |
[Singing] In the left hand we hold the cymbals, And in the right the love of the Lord. Through the nights and days In a hundred ways Our bodies dance of their own accord; |
Tukaram |
[Chantant] Dans la main gauche, nous tenons les cymbales, Et dans la main droite, l’amour du Seigneur. À travers les nuits et les jours, De mille manières, Nos corps dansent de leur plein gré. |
Avalai |
[Parodying him] In the left hand you hold the rattles And in the right a bowl of gourd. Day after day In a shameless way You beg your bread in the name of the Lord. |
Avalai |
[Le parodiant] Dans la main gauche, vous tenez les crécelles Et dans la main droite, une calebasse. Jour après jour, D’une impudique manière, Vous mendiez votre pain au nom du Seigneur ! |
Yes, sainthood is a most convenient mask For idle fools who cannot earn their bread And would not, if they could. To hell with saints! |
Oui, la sainteté est un masque des plus pratiques Pour des imbéciles oisifs qui ne peuvent gagner leur pitance Et ne le voudraient pas, même s’ils le pouvaient. Au diable les saints ! |
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Tukaram | Then there would be no hell. | Tukaram | Ainsi il n’y aurait plus d’enfer ! |
Avalai |
The earth itself Has grown into a hell because of saints, Celestial parasites who talk of soul To feed the body on some neighbour’s bread! |
Avalai |
La terre elle-même Est devenue un enfer à cause de ces saints, Ces parasites célestes qui parlent d’âme Pour se nourrir du pain de leur prochain ! |
Tukaram |
[Singing] When the heart is free from sin And grows beautiful within Saint and sinner, foe and friend To a single being blend, Poison which like blue fire burns Into holy nectar turns. When the heart has sinless grown Wedded is the star to stone And the cankers that devour Flowers, find themselves in flower. Then the tiger and the lamb In one pure voice cry out “I am.” Tuka says, “Only His mercy can Flood so much sainthood in the heart of man.” |
Tukaram |
[Chantant] Quand le cœur est libre de tout péché Et s’épanouit en beauté, Saint et pécheur, ennemi et ami Ne font qu’un. Le poison, tel un feu bleu, se transforme En un divin nectar. Quand le cœur a grandi sans péché, Quand l’étoile s’est unie à la pierre, Quand le lichen qui dévore La fleur devient fleur, Alors le tigre et l’agneau, D’une voix pure s’écrient : « Je suis cela ! » Et Touka dit : « Seule la compassion peut Inonder le cœur de l’homme de tant de sainteté ! » |
[Enter Tukaram’s third child.] | [Le troisième enfant de Tukaram entre.] | ||
3rd Child | O Mother, I am hungry! | 3ème enfant | Maman, j’ai faim ! |
Avalai |
[Pulling his ear] Go and stuff Your stomach with your father’s holy hymns And grow as fat and bulky as the book In which he writes them down, for are you not The holy offspring of a holy saint? |
Avalai |
[Lui tirant l’oreille] Va te remplir Le ventre des hymnes saints de ton père Et deviens aussi gros et ventru que le livre Dans lequel il les recopie, car n’es-tu pas La sainte progéniture d’un saint sacré ? |
[The child goes out crying. The other two follow. Avalai notices some people coming towards the house.] | [L’enfant sort en pleurant. Les deux autres le suivent. Avalai remarque que des gens se dirigent vers la maison.] | ||
But here come, the beggars of the world Who masquerade as spiritual kings. |
Voici venir les mendiants du monde Qui se travestissent en gourous de l’esprit. |
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Tukaram |
[Singing] Saints are Hari’s Holy bodies: Knowing them, You know what God is. In a hundred ways, In a hundred rhymes, Tuka says this A hundred times. |
Tukaram |
[Chantant] Les saints sont D’autant de corps sacrés de Hari1. Les comprenant, On comprend ce que Dieu est. De mille manières, Dans mille rimes, Touka dit cela Mille fois. |
Avalai |
That is what Tuka says, but Tuka’s wife, Who has as much a right as anyone To say a thing, says quite another thing. |
Avalai |
C’est ce que dit Touka, mais la femme de Touka, Qui a autant de droit que quiconque De dire quelque chose, dit tout-à-fait autre chose. |
[She parodies his song and sings.] | [Elle parodie son chant.] | ||
Saints are scoundrels Full of poses: Pull their cheeks And scratch their noses. They are full Of secret crimes, Says Avalai A hundred times. |
Les saints sont des escrocs Qui prennent la pose : Pincez-leur la joue, Griffez-leur le nez, Ils sont remplis De crimes secrets ! Avalai dit Des milliers de fois. |
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O, if you only knew how many rhymes Go grinding, grinding, grinding in my head Whenever I sit grinding at the quern, You would begin to quote them even in sleep, Forgetting all the rhymes you ever wrote And your inevitable “Tuka says” Would slip from off your tongue as from a leaf Of lotus slip two trembling drops of dew! |
Oh, si seulement vous saviez combien de rimes Vont s’écraser, et s’écraser, et s’écraser dans ma tête Chaque fois que j’actionne le moulin à bras Vous commenceriez à les citer même dans le sommeil Oubliant toutes les rimes que vous ayez jamais écrites, Alors votre sempiternel « Touka dit : » Glisserait de votre langue comme glissent d’une feuille De lotus, deux gouttes de rosée tremblantes ! |
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[Enter Rameshwar, the haughty Brahmin, with his two disciples.] | [Entrée de Rameshwar, le brâhmane arrogant, avec ses deux disciples.] | ||
Tukaram |
[Bowing low to them] Thrice welcome, Saint! What can I offer you? |
Tukaram |
[S’inclinant jusqu’à terre devant eux] Trois fois bienvenue, ô Saint ! Que puis-je vous offrir ? |
Avalai |
Stones and round cakes of dung, for they are all Hosts of an empty house can offer guests. |
Avalai |
Des pierres et des bouses de vache, car c’est là Tout ce que les hôtes d’une maison vide peuvent offrir aux invités. |
Tukaram | Thrice welcome to a beggar’s humble house. | Tukaram | Trois fois bienvenue dans l’humble logis d’un mendiant. |
Rameshwar |
[Rolling his eyes] Away, away with you, dissembling saint! You thief, pretender, drunkard, villain, fool… |
Rameshwar |
[Roulant des yeux] Arrière, arrière, Saint dissimulateur ! Espèce de voleur, faussaire, ivrogne, canaille, imbécile… ! |
Avalai |
You are not talking to your father, Sir, Nor to your father’s father, nor yourself. Your temper leaps up like a treacherous tiger, With scarlet eyeballs, claws about to clutch. Your tongue is like a young unbridled mare That leaves her hoof-prints on the road to hell. |
Avalai |
Vous ne vous adressez pas à votre père, Monsieur, Ni au père de votre père, ni à vous-même. Votre colère jaillit comme un tigre féroce. Les globes oculaires violacés, toutes griffes dehors, Votre langue est comme une jeune jument non débourrée Qui laisse l’empreinte de ses sabots sur la route de l’enfer. |
Tukaram |
[Very gently] Woman, be not uncourteous to a saint. |
Tukaram |
[Très doucement] Femme, ne sois pas discourtoise à l’encontre d’un saint ! |
Avalai |
A saint, indeed! God save Himself and us From such a saint who rolls his blood-red eyes And showers a host of wild unholy words Upon your head, upon the holy head Of one•whom God loves with the very love Which lights a festival of birds at dawn And brings about star-marriages at dusk. |
Avalai |
Un saint, vraiment ! Que Dieu se sauve et nous sauve aussi De ce saint qui roule des yeux injectés de sang Et déverse un flot de sauvages paroles profanes Sur votre tête, sur la sainte tête De celui que Dieu aime ! De ce même amour, il éclaire à la fois Une guirlande d’oiseaux à l’aube Et célèbre des mariages d’étoiles au crépuscule. |
Tukaram |
[With humility to Rameshwar] Have I offended you in any way At any time with word or deed of mine? |
Tukaram |
[Avec humilité envers Rameshwar] Vous ai-je déjà offensé d’une quelconque manière, En parole ou en acte ? |
Rameshwar | There’s something in your face which angers me. | Rameshwar | Quelque chose dans votre visage provoque ma colère. |
Avalai |
The crown of fame, the poet’s glittering crown Of fame upon his head, crimsons your eyes! You are all jealous of my poet’s songs! |
Avalai |
La couronne de la célébrité, l’étincelante couronne du poète La couronne de la célébrité au-dessus de sa tête empourpre vos yeux ! Vous êtes tous jaloux des chants de mon poète ! |
Rameshwar |
[Forcing a laugh] Jealous of whom? Of him? Jealous of him Who is no better than the wayside filth We would not even deign to tread upon? |
Rameshwar |
[Avec un rire forcé] Jaloux de qui ? De lui ? Jaloux de celui Qui ne vaut guère mieux que la crasse du caniveau Sur lequel nous ne daignerions même pas poser le pied ? |
[Here he tries to touch Tukaram insolently with his foot.] | [Il tente de toucher du pied Tukaram avec insolence.] | ||
Avalai |
My children’s father! Rise and challenge him! It fills my heart with rage to see you sit Like a calm god upon the starry verge Of such divine forgiveness. |
Avalai |
Ô père de mes enfants ! Lève-toi et défie-le ! Cela me remplit le cœur de rage de te voir assis Tel un Dieu paisible sur le bord étoilé De la clémence divine. |
Tukaram |
Mother, Mother! Are you enraged because no rage is left Within my heart? Lo, I have plucked the thorns Of sin and sorrow from its bed of rose On which my Lord reposes night and day. |
Tukaram |
Mère, Mère ! Te mets-tu en colère parce que la colère a déserté mon cœur ? Vois, j’ai ôté les épines De péché et de tristesse du lit de roses Sur lequel nuit et jour mon Seigneur se repose. |
Avalai | He dared to try to touch you with his feet! | Avalai | Il a osé vous toucher de son pied ! |
Tukaram |
The bonds of death and birth and time and change Are broken at the touch of a saint’s feet. |
Tukaram |
Les liens de la mort, de la naissance, du temps et du changement Se brisent au contact des pieds d’un saint. |
Avalai | His eyes are red with cowardly insolence! | Avalai | Ses yeux sont injectés d’une lâche insolence ! |
Tukaram |
[Humbly to Rameshwar] Forgive me, Master of the hermitage! |
Tukaram |
[Avec humilité envers Rameshwar] Pardonnez-moi, Maître de l’ermitage ! |
Avalai |
Why do you beg forgiveness of a fool Who should instead beg yours upon his knees? |
Avalai |
Pourquoi implorer le pardon d’un imbécile Qui devrait, au contraire, implorer le tien, à genoux ? |
Rameshwar |
Forgive you, low-born man! Do you forget Your mother was a Vaishya? |
Rameshwar |
Te pardonner, toi ? homme de basse caste ! As-tu oublié Que ta mère était vaishya2, une simple servante ? |
Avalai |
He forgets Your father was a Brahmin, for your ways Are low-born ways which hide away your birth. Poor fool! Your insolence grows twofold now My husband begs forgiveness at your feet; But, had you known the golden laws of Love, Your spirit would have blushed and bled in shame, Knowing the voice of a wronged man which begs Forgiveness at the feet of him who wronged Is the forgiving voice behind the veil. |
Avalai |
Il a oublié. Votre père était brâhmane, alors que vos manières Sont des manières de basse caste qui voilent votre naissance. Pauvre imbécile ! Votre insolence a maintenant doublé. Mon mari implore votre pardon à genoux ; Mais, si vous aviez connu les lois d’or de l’Amour, Votre esprit aurait rougi et saigné de honte, Reconnaissant la voix d’un homme injurié qui implore Le pardon au pied de celui qui l’a injurié, C’était la voix du pardon derrière le voile. |
Rameshwar |
Cheap offspring of a common tradesman’s wife! Your hands, which should have measured, pan by pan, Red and green chilies, yellow-beaded maize, And meddled with long sheets of dull accounts, Have dared to call themselves a poet’s hands, To write audacious rigmaroles of rhymes With as much music in them as in crows That congregate and caw when a crow dies! Do you not know a Brahmin’s lips alone May chant of God and universe and love ‘ His hands alone write poems on the soul? And you have now transgressed an ancient rule And written rhymes no parrot would repeat. |
Rameshwar |
Rejeton de peu d’une femme d’un vulgaire commerçant ! Vos mains, qui auraient dû mesurer, écuelle après écuelle, Piments rouges et verts, grains jaunes du maïs, Et tenir les longues pages de comptes banals, Ont osé s’appeler « mains de poète », Pour écrire d’audacieuses litanies de rimes Aussi musicales que le croassement des corbeaux Qui se rassemblent quand meurt un corbeau. Ignorez-vous donc que seules les lèvres des brâhmanes Peuvent chanter les louanges de Dieu, de l’univers et de l’Amour ? Que seules ses mains peuvent inscrire des poèmes sur l’âme ? Et vous avez à présent transgressé une loi ancienne Et écrit des rimes que même un perroquet ne répéterait pas ! |
Avalai |
He has already written songs on songs And before he dies will write millions more, And what is that to you? How does it hurt You or your father or your grandfather? When did the mighty brothers of your caste Monopolise the muse of melody? Which one is the grey genealogy Of long-eared ancestors has tutored you? Was it the one who taught your saintly legs The impulse which they showed a while ago? |
Avalai |
Il a déjà écrit des chants et des chants Et avant qu’il ne meure, il en écrira encore des milliers d’autres. Et, qu’est-ce que cela peut vous faire ? En quoi cela Vous blesse-t-il, vous, votre père ou votre grand-père ? Depuis quand les tout-puissants frères de votre caste Ont-ils monopolisé la muse de la mélodie ? Qui parmi vos ancêtres aux longues oreilles de cette lignée De sages grisonnants vous a transmis son enseignement ? Était-ce celui qui a enseigné à vos saintes jambes L’élan qu’elles ont montré il y a un instant ? |
Tukaram |
The bonds of death and birth and time and change Are broken at the touch of a saint’s feet. |
Tukaram |
Les liens de la mort, de la naissance, du temps et du changement Se brisent au contact des pieds d’un saint. |
Tukaram | Why does the cactus grow upon your tongue? | Tukaram | Pourquoi le cactus pousse-t-il sur ta langue ? |
Avalai |
[Shaking her fist at Rameshwar] Your idle threats fall on my husband’s ears Like chicken feathers in a Sudra’s yard. Sir, he will write, and I will also write, Our children, too, will soon begin to write… |
Avalai |
[Menaçant Rameshwar de son poing] Vos vaines menaces tombent sur les oreilles de mon mari Telles les plumes de poulet dans le jardin d’un Shoudra3. Monsieur, il écrira, et moi aussi, j’écrirai, Nos enfants, aussi commenceront à écrire bientôt… |
Rameshwar |
[Scoffingly] In the lined pages of a ledger book, If that is what you mean! |
Rameshwar |
[D’un ton moqueur] Sur les pages avec guide-âne d’un grand livre, Si c’est ce que vous voulez dire ! |
Avalai |
Our pots and pans Contain more poems than your Brahmin soul, And there is no more knowledge in your heart Than in our clay lamp or our wooden spoon! |
Avalai |
Nos casseroles et nos pots Contiennent davantage de poèmes que votre âme de Brahmane. Il n’y a pas plus de savoir dans votre cœur Que de beurre en broche ! |
Rameshwar |
Come, you will pay for this. A Brahmin’s wrath Is like the lightning in a chasm of cloud Followed by a tremendous thunder-crash Which makes the whole world tremble. |
Rameshwar |
Allez, vous payerez cela. La colère d’un Brahmane Est tel l’éclair dans un abîme de nuages Suivi d’un terrible coup de tonnerre Qui fait trembler le monde tout entier. |
Avalai |
Foolish man! My husband is like a Himalayan peak Calm and superb and drowsed in ancient peace. Your Brahmin wrath is but a hollow boast Its lightning but a little glow-worm throb, Its thunder but the wing-noise of a moth! |
Avalai |
Espèce d’imbécile ! Mon mari est comme un pic de l’Himalaya Serein, superbe et somnolant dans une paix ancestrale. Votre colère de Brahmane n’est rien d’autre qu’une vantardise creuse Et son éclair, qu’une légère palpitation de ver luisant, Et son tonnerre, que le bruissement d’aile d’une mite ! |
Tukaram |
[Singing] What terrible waves of longing leap and toss Around us, and what restless passions rise Like reddening tempest clouds against the skies. O, what a difficult sea we have to cross! About the boat of life, love and desire Whirl like great sea-birds with wide wings of fire. The only way to cross this sea of flame Is in a boat, sings Tuka, of His name. |
Tukaram |
[Chantant] Quelles terribles vagues de désir roulent et tanguent Autour de nous, et quelles passions agitées s’élèvent Tels des nuages de tempête s’empourprant contre les cieux. Ô, quelle mer tumultueuse il nous faut traverser ! Autour de barque de la vie, l’amour et le désir Tourbillonnent tels de grands oiseaux de mer aux grandes ailes de feu. La seule façon de traverser cette mer de flammes, C’est dans une barque au nom de Dieu, chante Touka. |
Rameshwar |
Your Pandurang is a pathetic jester Who to the monkey drum of sun and moon Cuts capers in the courts of shining gods For their amusement; and at times he cracks A stupid joke which echoes on the earth, Takes human shape and grows more stupid still, And the town calls it poet Tukaram. But time has made it old and sorry and stale, And everything grown stale and sorry and old Threatens the fair world like a stinking weed And therefore, like it, should be rooted out. |
Rameshwar |
Votre Panduranga4 est un bouffon pathétique Qui au son du tambourin de singe du soleil et de la lune Fait des farces dans les cours des Dieux rutilants Pour les distraire ; et parfois, il lance Une plaisanterie stupide qui résonne jusque sur la terre, Prend figure humaine et devient plus stupide encore. Et la ville l’affuble du nom de poète Tukaram ! Mais le temps l’a rendu vieux, triste et rance, Et tout est devenu rance, triste et vieux Menaçant le juste monde comme de l’herbe putride Et donc, comme elle, devrait être arraché. |
[To his disciples] | [S’adressant à ses disciples] | ||
Inform the village headman of this weed, This sleepy weed which slowly poisons flowers, And bid him come to root it out in time. |
Alertez le chef du village de la présence de cette herbe putride, Cette mauvaise herbe endormie qui empoisonne lentement les fleurs, Et demandez-lui de venir l’arracher à temps. |
||
[To Tukaram, sternly] | [S’adressant à Tukaram d’un ton sévère] | ||
Sir, you shall leave this village by tomorrow And pass beyond our holy neighbouring town. Where is your foolish book? |
Monsieur, vous devrez avoir quitté ce village demain Et avoir traversé notre sainte ville voisine. Où est votre livre absurde ? |
||
Tukaram | Here is the book. | Tukaram | Le voici ce livre. |
[Fetching it for him, gives it.] | [Va le chercher et le lui donne.] | ||
Avalai | The book that makes you sleep a broken sleep! | Avalai | Ce livre qui vous fait dormir d’un sommeil perturbé. |
Rameshwar |
[Giving it to his disciples] I have heard painted river-fishes pray To the dim river-goddess for these rhymes And soon the drowsy twilit river-deeps Will ring with them, and then, who knows? Perhaps, The ravishing river-goddess may arise And crown you poet other cool green world! |
Rameshwar |
[Le donnant à ses disciples] J’ai entendu des poissons de rivière multicolores prier Cette stupide Naïade pour ces rimes Et bientôt les crépuscules profondeurs somnolentes de la rivière Vont sonner avec elles, et alors, qui sait ? Peut-être La ravissante Naïade surgira-t-elle Et vous couronnera-t-elle poète de son frais monde végétal ! |
[Rameshwar goes out with his disciples.] | [Rameshwar sort avec ses disciples.] | ||
Avalai | Alas, alas, he will destroy your songs! | Avalai | Hélas, hélas, il détruira vos chants ! |
Tukaram |
Songs are immaculate immortal birds Which soar on wide invulnerable wings Over dim seas of Time. You can destroy The poet, if you like, but not his songs. |
Tukaram |
Les chants sont d’immaculés oiseaux immortels Qui s’élancent de leurs larges ailes invulnérables Au-dessus des mers sombres du Temps. Vous pouvez anéantir Le poète, si cela vous plaît, mais pas ses chants. |
Avalai |
You have the patience of a wayside stone Which never says a single angry word To the traveller who spurns it with his foot. But mine is like the water of a lake Ruffled at the least breath of every wind. Who taught you such great patience? |
Avalai |
Vous avez la patience d’une pierre qu’on trouve au bord du chemin Qui ne prononce jamais aucune parole de colère À l’encontre du voyageur qui la rejette du pied. Mais la mienne est comme l’eau d’un lac Qui se ride au moindre souffle de vent. Qui vous a enseigné une si grande patience ? |
Tukaram |
He who taught The sun, the moon, the wind and stars and rain The old courageous patience which they need In the fulfilment of diurnal tasks. He taught me patience, He who is Himself is Embodiment of patience infinite, Who stands alone and watches silently Over the shattered image of the world Which He in utmost love and travail wrought, Then, seeking out the blind iconoclasts, Hurts them with love sharper than any sword. |
Tukaram |
Celui qui a enseigné Au soleil, à la lune, au vent, aux étoiles et à la pluie L’antique patience invincible dont ils ont besoin Pour accomplir les tâches diurnes. Lui qui m’a enseigné la patience est Lui-même L’incarnation d’une infinie patience. Lui qui se tient seul et veille en silence Sur l’image fracassée du monde Qu’il a lui-même crée par amour absolu, fruit d’un dur labeur, Débusque alors les iconoclastes aveugles Et les blesse d’un amour plus tranchant que n’importe quelle épée. |
Avalai |
Then I am certain that He loves us too, For He is always hurting you and me With the sharp sword of His relentless love, But I had rather that He did not love So we be saved from sorrow. |
Avalai |
Alors je suis sûre qu’Il nous aime aussi, Car Il est toujours à nous blesser, vous et moi Avec l’épée tranchante de Son implacable amour, Mais j’aimerais mieux qu’Il ne nous aime pas, Alors la tristesse nous épargnerait ! |
Tukaram | Hari! Hari! | Tukaram | Hari ! Hari ! |
Avalai | He is too far away to hear you call. | Avalai | Il est trop loin pour vous entendre. |
Tukaram | He is more near to us than we ourselves. | Tukaram | Il est plus proche de nous que nous le sommes de nous-mêmes. |
Avalai |
O, I am weary, weary of the way. In which you seek the lord, forgetting us, Forgetting us to whom you owe a duty Through the long months your children cry for food. But it would almost seem as if the door Of love were shut for ever in your heart, And you sit dreaming in the roseate light Of fruitless dreams which cannot buy us bread. |
Avalai |
Oh, je suis lasse, lasse de la manière Dont vous cherchez le Seigneur, nous oubliant, Nous oubliant, nous, envers lesquels vous avez un devoir de diligence. Tout au long des mois, vos enfants réclament leur pitance, Mais il semblerait que la porte De l’amour soit fermée à jamais dans votre cœur. Et vous, vous restez là, à inventer dans la lumière rosée Des rêves stériles, incapables de nous acheter la moindre bouchée de pain ! |
Tukaram |
Who feeds the crane, the partridge and the snipe Will feed us also. |
Tukaram |
Lui qui nourrit la grue, la perdrix et la bécassine, Nous nourrira aussi. |
Avalai |
Speak no more of Him Who in a selfish isolation sits Aloof from us, nor ever takes account Of the world’s sorrow. Hoping still we knock At His hard door of mercy till we die, But at the end of it we only find Red bruises crying on our beggar’s palms. O, I am broken under the dim weight Of long denials. I will end this life. |
Avalai |
Ne parlez plus de Lui, Qui, dans un isolement égoïste, se tient Loin de nous, ignorant à jamais La tristesse du monde. Espérant encore que nous frappions À sa dure porte de miséricorde jusqu’à notre mort, Mais à la toute fin, dans nos paumes de mendiants Nous ne trouverons plus que bleus rougis, en larmes. Oh, je ploie sous le sombre poids Des longues dénégations. Je mettrai fin à cette vie-là. |
Tukaram |
And when you end it, you will truly live, When the loud tumult of the heart is hushed, The simple orphaned music of the soul Will rise again, the complex-shadowed mask Of painted vanities will fall away, Unfolding to our unaccustomed eyes The gorgeous whiteness burning in all things. Then, having suddenly become all things, We will have naught to seek. O let us go Toward that Light which beckons from afar. |
Tukaram |
Et quand tu mettras fin à cette vie, la vraie vie sera là, Quand le tumulte assourdissant du cœur sera étouffé, La simple musique orpheline de l’âme S’élèvera à nouveau, le masque aux multiples facettes Des vanités peintes, tombera Déployant devant nos yeux inaccoutumés, La magnifique blancheur brûlant dans toute chose. Puis, soudain, identifiés à /devenus un avec tout ce qui nous entoure, Notre recherche sera annihilée. Oh, allons Vers cette Lumière qui nous fait signe de très loin. |
Avalai | My Lord, where will you go leaving your house? | Avalai | Mon Seigneur, où irez-vous en quittant votre maison ? |
Tukaram | A house is but a lonely hiding-place. | Tukaram | Une maison n’est rien d’autre qu’une cachette solitaire. |
Avalai |
Nay, do not leave us lonely once again. You have already done it more than once, For months and months upon a mountaintop, Lost in the soul’s deep solitude, you’ve sat, And I have walked long miles of rugged road, Day after day, bringing your meals for you, Until one day a sharp thorn pierced my foot And I lay in a swoon along the road Under a fierce and naked mid-day sky. And then you pitied me, and for my sake, Leaving the distant mountain-top, you came Back to your house, your children and your wife. Nay, do not go again. I will not say An angry word against your God or you, I will not doubt His love, nor doubt your Love. I will be good, and learn your hymns, and we Will sing together under the starry heavens. O, I will bear my bosom to the blade To the white and sudden sword-blade of God’s love. |
Avalai |
Non, ne nous laissez pas seule une fois encore ! Vous l’avez déjà fait plus d’une fois, Pendant des mois et des mois, immobile au sommet d’une montagne, Perdu dans la profonde solitude de l’âme, vous êtes resté, Et moi, j’ai marché des kilomètres et des kilomètres par des routes accidentées, Jour après jour, vous apportant vos repas, Jusqu’à ce qu’un jour une épine pointue me transperce le pied Et que je m’évanouisse le long de la route Sous un ciel de midi, féroce et nu. Alors, vous avez eu pitié de moi, et pour moi, Quittant ce sommet lointain, vous êtes Rentré à la maison, auprès de vos enfants et de votre femme. Non, ne partez pas une fois encore ! Je ne prononcerai Aucune parole de colère contre votre Dieu, ni contre vous, Je ne douterai pas, ni de Son Amour ni du vôtre. Je serai sage, et apprendrai vos hymnes Et nous chanterons ensemble sous les cieux étoilés. Oh, j’offrirai mon sein à la lame, La foudroyante blanche lame de l’épée de l’Amour divin. |
Tukaram |
The mellow Light is doubled in my soul, And deepens, deepens, deepens everywhere. Out of the silence leaps a lonely cry, The cry which is the silence of our soul. |
Tukaram |
La douce Lumière redouble dans mon âme, Et illumine les profondeurs intimes, secrètes de l’être. Déchirant le silence, un cri solitaire s’échappe, Cri qui est le silence de notre âme. |
1 | हरि hari, épithète de Viṣṇu « le Lion » (parfois glosé comme dérivé de hṛ « Celui qui enlève (les péchés) »). |
2 | वैश्य vaiśya, homme de la 3ème classe, qui vit de son travail : cultivateur, éleveur, marchand, artisan, banquier । féminin : vaiśyā, femme de cette classe । pluriel : vaiśyās, la classe [varṇa] des travailleurs. |
3 | शूद्र śūdra, homme de la 4ème classe, serviteur । féminin : śūdrā, femme de classe śūdra, servante । pluriel : śūdrās, la classe [varṇa] des serviteurs. |
4 | pāṇḍuraṅga [raṅga] blanc, de complexion claire । nom propore de Pāṇḍuraṅga, épithète de Viṭṭhala-Puṇḍarīka « au teint clair » । mythologie : épithète de Śiva. |