Harindranath Chattopadhyay
Pundalik
De larges extraits en ont été lus à Marseille le 29 mars 2014. En voici la présentation et la vidéo correspondante ci-dessous :
Quelques photos souvenirs de cette lecture…
Cette pièce comporte trois scènes. En voici la première, que précède un bref prologue.
Characters | Personnages |
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Pundalik Father Mother Beggar Ganga Yamuna Saraswati Vishnu pilgrims |
Pundalik Son père Sa mère Un mendiant Trois fleuves sacrés : - Ganga - Yamuna - Saraswati Des pèlerins Vishnouïtes |
Scene 1 | Scène 1 | ||
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Harindranath Chattopadhyay | Traduction : Jyoti Garin et Annette Mouret | ||
To-day I heard The black mud sing a blossom into birth As though it were all heaven’s bridal word Shyly pronounced to earth. |
Aujourd’hui, j’ai entendu La boue noire chanter la naissance d’une fleur Comme si le ciel entier Murmurait timidement des serments de noces à la terre. |
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Out of the dark A firefly flowered and flashed and floated by. In the green splendour of its single spark I heard the star-deeps cry. |
De l’obscurité, Une luciole fleurit, flamboya et flotta ça et là. Dans la splendeur verte de son unique étincelle, J’ai entendu pleurer les profondeurs des étoiles. |
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To-day I saw Myself, a thing of glory, shadow-shed And saw the world, a gem without a flaw, Flash in the holy crown upon my head. |
Aujourd’hui, je me suis vu, Moi-même, un être de gloire, couvert d’ombre, Et j’ai vu le monde, joyau sans défaut, Resplendir dans l’auguste couronne posée sur mon front. |
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[The interior of Pundalik’s house. Pundalik’s father is seated. Pundalik comes in, grumbling and swearing.] | [L’intérieur de la maison de Pundalik. Son père est assis. Pundalik entre, grognant et jurant.] | ||
Pundalik |
There’s not a dawn that hasn’t heard the cock Crow from its coop beside its sleeping hen Who wakes and listens to his strident note And finds an angel’s harpstring in his voice. By Brahma, I will pluck its feathers off, I’ll wring its neck and roast it in the fire! |
Pundalik |
Pas une aube qui n’ait entendu le coq Chanter du haut de son poulailler à côté de sa poule endormie Qui s’éveille, écoute sa note stridente Et entend une harpe d’ange dans sa voix. Par Brahma, le Créateur1! Je vais lui arracher les plumes, Lui tordre le cou et le faire rôtir à feu vif ! |
Father | What crime has it committed? | Le père | Quel crime a-t-il commis ? |
Pundalik |
O foolish man! It comes between me and my morning sleep, And sure it is a pity beyond telling, I am not born a hen to rise at dawn And cackle wonted praises to the cock, And lay warm eggs in a dung-painted yard To the blaring of its conch-shell! It is old, Far older than the long and slender shadow Of the first branch that ever stretched its hand Over a field, and older than the first Green blade of grass upon the bearded earth. And like a washerwoman’s dumb grey donkey, God bears a bundle of all things grown stale With too long life, and soiled with too long use. |
Pundalik |
Pauvre imbécile ! Il s’interpose entre moi et mon sommeil matinal. N’est-ce pas un comble indicible ? Je ne suis pas né poule pour me lever à l’aube, Caqueter d’éternelles louanges au coq Et, au claironnement de sa conque, Pondre des œufs chauds dans une cour peinte à la bouse de vache ! Tout cela est vieux, Plus vieux que l’ombre longue et fine De la première branche qui ait jamais étendu sa main Au-dessus d’un champ, et encore plus vieux que le premier Brin d’herbe verte apparue sur la terre barbue. Et, tel l’âne bête d’une lavandière, Dieu trimbale un ballot de toutes ces vieilleries À la vie trop longue, souillées par trop d’usage. |
[Enter Pundalik’s mother with a troubled look] | [La mère de Pundalik entre, l’air troublé.] | ||
Mother | What made you smash our kitchen pots of clay? | La mère | Qu’est-ce qui t’a fait briser nos pots de cuisine en argile ? |
Pundalik |
Because I could not suffer a blue shadow That stole in through the door with guilty steps To kiss the red curves of their earthen bodies; Your kitchen pots were whores, and so I struck them And shattered them into a hundred shivers. |
Pundalik |
Je ne pouvais plus supporter l’ombre bleue Qui, à pas coupables, s’était glissée par la porte Pour embrasser les courbes rouges de leurs corps de terre ; Vos pots de cuisine sont des putains, alors je les ai frappées Et fracassées en cent éclats. |
Father |
Alas! His head is full of garish nights That shelter men whose veins are hot with lust And wandering whores whose souls are red with blood. What wonder, then, that dawn’s innocuous shadow Offends his eyes, and earthen pots are grown To harlots in his heart… |
Le père |
Hélas ! Sa tête est pleine de nuits tapageuses Qui abritent les hommes aux veines chaudes de désir Et les prostituées rôdeuses aux âmes rouge-sang. Nulle surprise alors si l’ombre innocente de l’aube Offense ses yeux, et que les pots de terre Se transforment en putains dans son cœur… |
Pundalik |
Besides they were old! You bought them of a potter in the village, Ten years ago… The potter is dead and gone; Most sensible of him since he was old, While his clay-pots kept clinging on to life As misers cling to gold! Ten years of life In earthen pots are more than sixty years In man’s, I take it, and I take it, too, That old things are a bane both to the devils And to the gods whose eyes are ever young. |
Pundalik |
En plus, ils étaient vieux ! Vous les avez achetés à un potier du village, Il y a dix ans… le potier est mort et enterré ; C’est ce qu’il avait de mieux à faire, car il était vieux, Mais ses pots d’argile, eux, continuaient à se cramponner à la vie Comme l’avare à l’or ! Dix années de vie De pots de terre sont bien plus que soixante années D’une vie d’homme ! Je crois et affirme Que ces vieilleries sont un fléau tant pour les diables Que pour les dieux aux yeux d’éternelle jouvence. |
Mother |
He hates us as he hates the crowing cock. And breaks us every moment with his hands Like earthen pots grown old in a grey corner. |
La mère |
Il nous déteste comme il déteste le coq qui chante Et il nous brise à chaque instant avec ses mains Comme il brise les pots de terre vieillis dans un coin gris. |
Father |
God with his gentle hands will join the pieces, And when the broken pots are whole again, Will flood them to the brim with golden nectar. |
Le père |
Dieu, de ses mains douces, recollera les morceaux, Et lorsque les pots cassés seront redevenus entiers, Il les inondera de nectar doré jusqu’à la lie. |
Pundalik |
It gives me joy to see you weep, old woman! The tears that trickle down your cheek in drops Put me in mind of the bead string I plucked From off a harlot’s throat and laughed to see The beads drop as your tears are dropping now! |
Pundalik |
Ah, que cela me réjouit de vous voir pleurer, vieille peau ! Ces larmes qui ruissellent le long de vos joues Me rappellent le cordon du collier que j’ai arraché Du cou d’une putain, et j’ai ri en voyant Les perles rouler comme roulent vos larmes maintenant ! |
Mother | The womb that cradled you cries out for pity. | La mère | Le sein qui t’a bercé réclame la pitié. |
Pundalik |
Nay, nay, I know no pity for the old… Show pity to a pair of ancient clogs With an old tiring clatter, cracked and split From heel to toe and roughened at the edges? Had I performed your marriage-rites, old woman, I should have fed the sacrificial fires With such a pair of clogs… |
Pundalik |
Non, non, je suis sans pitié pour les vieux… Avoir pitié d’une paire de vieux sabots Au cliquetis agaçant, craquelés, fissurés Du talon à orteil, et écaillés sur les bords ? Moi, si j’avais célébré le rite de votre mariage, vieille peau, J’aurais nourri le feu sacrificiel De cette paire de sabots… |
Father |
Alas! Alas! Your soul is fast asleep. |
Le père |
Hélas ! Hélas ! Ton âme est profondément endormie. |
Pundalik |
I have no soul… No person with a grain of sense would brook A coil of bitter cloud choking his body, A venomous vapour breeding in his brain. A shadow clasping him like a pale shroud. For what is it, the soul you talk about At all times of the day, ay, what is it But an invention of unholy Scriptures, The word that lies about the mouth of priests As froth about a mad-dog’s foaming mouth? Yea, I have flung my soul into a gutter And set my body on a jewelled throne, Since that alone is real and warm with blood, Beating its red wings at the gate of God. |
Pundalik |
Je n’ai pas d’âme… Personne avec un brin de bon sens ne supporterait Qu’une volute de nuage amer étouffe son corps, Qu’une vapeur vénéneuse se propage dans son cerveau, Qu’une ombre l’étreigne comme un suaire pâle. Car enfin, qu’est-ce que c’est que cette âme dont vous parlez À tout moment de la journée, oui, qu’est-ce donc Sinon une invention des textes impies, Un mot suspendu à la bouche des prêtres Telle la bave à la gueule d’un chien enragé ? Ouais, j’ai jeté mon âme dans une gouttière Et placé mon corps sur un trône serti de bijoux Car lui seul est réel et chaud de sang Battant ses ailes rouges à la porte de Dieu. |
Mother | O blasphemy! | La mère | Ô blasphème ! |
Father | My son! Who is your God? | Le père | Mon fils ! Quel est ton Dieu ? |
Pundalik |
The God of pleasure, wine and revelry… Pale hands of lovely harlots light his house With coloured lamps and set before’ his eyes Fruits carven of flesh-tinted ivory. And when his meal is over, in a row Some stand before him like tall jars of wine, While others weave their dances swift and sudden Like wild enchanted cyclones on the sand, Or whirlpools which involve delicious danger. Old man, I pity you… Your years are done, You have not lived, you have not known this God, Nor tasted of the ecstasies of youth He gave you as a gift in days gone by; You’ve never seen a single harlot’s smile Flood all the midnight like miraculous flame, But spent a lifetime muttering idle prayers Under the sun, under the moon, until Your soul was almost changed into a parrot! And you, old woman, had you served my God And turned a pretty paramour in youth, You would not now have walked on withered shanks Nor would the light have faded in your eyes, Ay, ay, nor in my heart the love for you! |
Pundalik |
C’est le dieu du plaisir, du vin et des réjouissances… Des mains blanches de jolies prostituées éclairent sa maison De lampes colorées et posent devant ses yeux Des fruits ciselés dans l’ivoire de leur chair. Son repas terminé, certaines se tiennent en rang, debout devant lui, Pareilles à de grandes cruches de vin, Tandis que d’autres tissent leurs danses vives et rapides Comme de violents cyclones qui, endiablés, se déchaînent sur le sable, Ou comme des tourbillons au danger délicieux. Vieux débris, vous me faites pitié… vos années sont révolues, Vous n’avez pas vécu, vous n’avez pas connu ce dieu, Ni savouré les extases de la jeunesse Qu’il vous a données jadis en cadeau ; Vous n’avez même jamais vu le sourire d’une prostituée Inonder le cœur de vos nuits, telle une flamme miraculeuse. Vous avez passé une vie entière à marmonner de vaines prières Sous le soleil, sous la lune, jusqu’à ce que Votre âme se transforme en perroquet ! Et vous, vieille peau, si vous aviez servi mon Dieu, Devenue une jolie soupirante dans votre jeunesse, Vous n’auriez pas à marcher maintenant sur des jambes branlantes Pas plus que la lumière de vos yeux n’aurait fané Ni dans mon cœur, l’amour que j’ai pour vous. Non, non ! |
Mother |
His words are knives that stab into my soul! O God! The doors are open and I wait For Thy dark messenger! |
La mère |
Ses paroles sont des coups de poignard dans mon âme ! Ô mon Dieu ! Les portes sont ouvertes et j’attends Ton noir messager ! |
Pundalik |
The day you die Earth will turn greener out of very joy, And rain-clouds hang with pearls instead of rain, And even the peacock’s shadow on the wall Be painted like the peacock. You, old man, Whom nature on a day she drugged herself Made you my father, when your body lies Lost in the yellow leaping of the flames The serpents that lay stretched on Beauty’s path Will slide away and slip into its hole, And fretted trees grow fruitful once again. |
Pundalik |
Le jour où vous mourrez, La terre reverdira de pure joie, Des perles seront suspendues aux nuages en guise de pluie, Et même l’ombre du paon sur le mur Aura les couleurs du paon… Et vous, vieux débris – Qu’un jour la nature, droguée, A fait mon père — quand votre corps reposera, Noyé dans les jaillissements jaunes des flammes, Les serpents étendus sur le chemin de la Beauté S’en iront et se glisseront dans leurs trous, Et les arbres rongés, donneront des fruits de nouveau. |
[The voice of a beggar outside the door.] | [Derrière la porte, on entend la voix d’un mendiant.] | ||
Beggar’s song |
A grasshopper sat on a blade of grass And sang, “Both beggars and kings Are faint reflections you see in a glass, Just fleeting and shadowy things… Like shadows they come, like shadows they pass,” That’s what the grasshopper sings. |
Chant du mendiant |
Une sauterelle s’assit sur un brin d’herbe Et chanta : « Les mendiants et les rois Sont des reflets troubles que vous voyez dans un miroir, Fugaces et chimériques… Tels des ombres ils viennent, tels des ombres ils passent. » Voilà ce que chante la sauterelle. |
Pundalik |
A ragged beggar with a raucous voice Chanting a hollow rune… Come, hop away, Thin-legged grig! And blow your griping horn At other doors than mine. Away, away, The steps you stand on are not temple-steps, Nor have we the good patience of the gods To lend a hearing to a hungry herd Of sheep that come a-wandering from their fold. Off with you, or I’ll strike you with the stick That broke the pates of kitchen-pots at dawn. |
Pundalik |
Un mendiant en guenilles à la voix rauque Psalmodiant un air creux… Allez, file, Espèce d’insecte à pattes filiformes ! Et continue à souffler dans ta corne lancinante Devant d’autres portes que la mienne. Allez, ouste, ouste Les marches sur lesquelles tu te tiens ne sont pas les marches d’un temple, Pas plus que nous n’avons la généreuse patience des dieux Pour prêter l’oreille à un troupeau De moutons affamés, échappés de leur parc. Va-t’en, ou je vais te frapper avec le bâton Qui a brisé les pots de cuisine, à l’aube. |
[Pundalik goes to a corner and fetches a stick.] | [Pundalik va dans un coin et apporte un bâton.] | ||
Mother | Let him not go away with empty hands. | La mère | Ne le laissons pas partir les mains vides. |
Father | eal him his daily dole of rice and corn. | Le père | Donne-lui sa part quotidienne de riz et de maïs. |
Pundalik |
With every single grain we grant to beggars I hear the fall of Famine’s foot approaching The closer to our door… A curse on beggars! |
Pundalik |
À chaque grain que nous accordons aux mendiants, J’entends le pas de la famine s’approcher, Toujours plus près de notre porte… Maudits soient les mendiants ! |
[Mother goes into the granary and returns with her hands full of rice and corn.] | [La mère rentre dans le grenier et revient les mains pleines de riz et de maïs.] | ||
Pundalik |
You shall not, nay, you shall not give it to him Sure as I am alive! |
Pundalik |
Non, tant que je suis en vie, Vous ne les lui donnerez pas, non ! |
[He shakes the grain off her hands with the stick.] | [Avec le bâton, il fait tomber les grains des mains de sa mère.] | ||
Pundalik | You shall not, woman! | Pundalik | Non, vous ne le ferez pas, femme ! |
[The grain covers the floor. The mother weeps.] | [Les grains jonchent le sol. La mère pleure.] | ||
Father | God’s wrath is looming like a cloud above you! | Le père | La colère de Dieu plane comme un nuage au-dessus de toi ! |
Pundalik | Only to crack into a rain of flowers! | Pundalik | Seulement pour éclater en une pluie de fleurs ! |
[The voice of the beggar sounds once more, and after the song the beggar departs.] | [De nouveau, on entend la voix du mendiant, et après la chanson, le mendiant s’en va.] | ||
Beggar’s song |
Like slow dim shadows that pace in sleep, Sprung out of the womb of the Vast, What heavy sorrows and sins we heap In this life that will soon be past, And we wake in our next life only to reap The harvest we sowed in our last. |
Chant du mendiant |
Nous sommes tels de pâles et lentes ombres qui se meuvent dans le sommeil, Échappées du sein de l’immensité, Que de lourds chagrins et de péchés nous entassons Dans cette vie qui sera bientôt révolue ! Et nous nous réveillerons dans une prochaine vie, seulement pour récolter Ce que nous avons semé dans la précédente. |
Mother |
The beggar has pronounced a curse and fled To join yon pilgrim-bands upon the way. |
La mère |
Le mendiant a prononcé une malédiction et il s’est enfui Pour rejoindre les bandes de pèlerins sur la route. |
Father | They go to Kasi on a pilgrimage. | Le père | Ils vont en pèlerinage à la sainte Kāśi2. |
Mother |
O! let us go with them. Now we are old And grey as rain-clouds brooding quietly Midway between our earth and God’s clean heaven, Let us be pilgrims, too, and go to Kasi, For I am weary grown of the world’s turmoil Which troubles the great silence. |
La mère |
Oh ! Partons avec eux. Maintenant nous sommes vieux Et gris comme les nuages de pluie, menaçant en silence, À mi-chemin entre notre terre et le ciel pur de Dieu, Devenons pèlerins aussi, et allons à Kāśi, Car je suis lasse du chaos du monde Qui trouble le grand silence. |
Pundalik |
You have chosen A most auspicious moment for your journey. This pilgrimage will bring you peace of mind And bring me peace of mind and in the bargain Relieve my back of an old knotted bundle! |
Pundalik |
Vous avez choisi Une heure des plus propices pour votre voyage. Ce pèlerinage vous apportera la paix de l’esprit, À moi aussi, il apportera la paix de l’esprit, et dans ce marché, Il soulagera mon dos d’un vieux fardeau ! |
Mother | Child of my womb, farewell! | La mère | Enfant de mon sein, adieu ! |
Father |
Farewell, my son! We take with us only a pilgrim’s staff, Scanty provisions in our pilgrim’s wallet And pilgrim’s robes… The house and all its holds We leave to you… God’s lamp upon the height Cast a great glory on your sleeping soul! |
Le père |
Adieu, mon fils ! Nous emportons seulement un bâton de pèlerin, Quelques maigres provisions dans notre besace de pèlerin, Et des habits de pèlerins… la maison, et tout ce qu’elle contient, Nous te les laissons… que la Lampe de Dieu là-haut Couvre ton âme endormie d’une grande gloire ! |
Mother |
God shelter you under his shady wings From the false blinding glitter of the world. |
La mère |
Que Dieu te protège, à l’ombre de ses ailes, De l’éclat faux et aveuglant du monde. |
[They go out.] | [Ils sortent.] | ||
Pundalik |
And so I am alone!… This house is mine! I now begin to wish I had not broken Those clay-pots! At the Brishaspati fair, They would have fetched me quite a little fortune! And every coin, whether of gold or copper, Whether of brass or silver, brings the world, A cringing cur, to us a little closer, Until at last it licks our feet with joy And renders thanks for all the crimson stripes We print upon its body with proud strokes. Ha! Ha! look at the shadow in the kitchen! It’s blue has changed to a dull shade of green. What is it seeking now? See! How it stretches Itself along the wall, how like the shadow Of a lost woman longing for a man! It stirs… how sweet… how sad… but what is this That stirs along the blind wall of my heart? The naked shadow of dead nights and days, A silent sorrowful shadow! There! It’s gone! Ay, ay, I’ll roast the lazy cock alive First thing to-morrow at the dawn of day: Ah no, I’ll sell it to the silly farmer, That idle drone, my neighbour, who sits drowsing At the foot of a palm-tree in the hen-grey twilight, Who has a hen that clacks for a cock-husband. It strikes me now our fowl will fetch a price. Look at the scattered grain upon the floor, Lord! How it shines! As if it were a sheet Of elfin diamond… Why! It was a dream! |
Pundalik |
Ainsi me voilà seul !… Cette maison est mienne ! Je commence maintenant à regretter d’avoir brisé Ces pots d’argile ! À la foire de Bṛhaspati3, Ils m’auraient rapporté une belle petite fortune ! Et chaque pièce, d’or ou de cuivre, De laiton ou d’argent, met au monde, Un corniaud de chien et le conduit plus près de nous, Jusqu’à ce qu’enfin, il lèche nos pieds de joie, Et rende grâce pour toutes les bandes violacées Que nous peignons à grands coups sur son corps. Ha ! Ha ! Regardez l’ombre dans la cuisine ! Son bleu s’est transformé en une terne nuance de vert. Que recherche-t-elle maintenant ? Regardez ! Comme elle s’étire Le long du mur, telle l’ombre D’une femme égarée soupirant pour un homme ! Elle tremble… que c’est doux… que c’est triste Mais qu’est-ce qui tremble sur le mur aveugle de mon cœur ? L’ombre nue des nuits et des jours morts, Une ombre triste, silencieuse ! Tiens ! Elle a disparu ! Oui ! Oui ! La première chose demain, à l’aube : Rôtir vivant ce coq paresseux. Ah non ! Le vendre à cet idiot de paysan, Ce fainéant oisif, mon voisin, qui somnole Au pied d’un palmier, au crépuscule gris-poule, Et qui a une poule qui caquette pour son coq de mari. Je viens d’y penser à l’instant ! Cette volaille me rapportera un bon prix. Regardez ce grain qui jonche le sol, Seigneur ! Comme il brille ! Pareil à une feuille De diamant délicat… Quoi ! C’était un rêve ! |
[The voices of pilgrims singing outside can be heard.] | [Dehors, on entend la voix des pèlerins en train de chanter.] | ||
The song of the pilgrims |
We are going to seek the Mother of mothers! Come with us, come with us, into the light, The stones on the roadway are only our brothers: They will not hurt us even at night. We are going to seek the Father who waits for us, Come with us, come with us, out of this land. Lo! he has opened his luminous gates for us And waits with a wonderful lamp in his hand! |
Chant des pèlerins |
Nous allons à la recherche de la Mère des mères ! Venez avec nous, venez avec nous, dans la lumière, Les pierres sur la route sont seulement nos amies : Elles ne nous blesseront point, même la nuit. Nous allons à la recherche du Père qui nous attend, Venez avec nous, venez avec nous, quittons cette terre. Ô miracle ! Il a ouvert ses portes lumineuses pour nous Et nous attend, une lampe merveilleuse à la main ! |
[The voices die out.] | [Les voix s’évanouissent.] | ||
Pundalik |
Clouds darken all the sky! Perhaps a tempest Will roll its boisterous hair along the rim Of the earth and thrust it’s ruddy tongue by fits A-thirst for water from a holy river! How now, how now, there’s not a trace of cloud In all the heavens! This is a day of dreams! A curse upon all pilgrims and their songs, A curse upon all parents who turn pilgrims. Ten thousand and ten thousand flock to Kasi To offer gifts to the blue-throated God. I, too, will go to Kasi, not as pilgrim Treading a road of ruts and bogs and ditches, But as a haughty prince upon a horse With copper patches on its broad white flanks, Silver-tipped ears and a bronze-tinted tail. I’ll pass the pilgrims by in regal pride, Upon my steed, and they will praise his prances, Forgetting the great God with sapphire throat Snake-garlanded and prisoned on an altar! Who knows, that before my journey is done, The world might build a temple to my name And worship me as though I were a God. |
Pundalik |
Les nuages assombrissent le ciel tout entier ! Peut-être une tempête Va-t-elle rouler ses cheveux tumultueux sur le limbe De la terre et donner de grands coups de sa langue vermeille, Avide d’une rivière sacrée ! Tiens, tiens, plus aucune trace de nuage Dans tous les cieux ! C’est un jour de rêve ! Maudits soient tous les pèlerins et leurs chansons, Maudits soient tous les parents qui deviennent des pèlerins. Ces milliers et ces milliers de gens qui se ruent sur Kāśi Pour offrir des cadeaux au Dieu à la gorge bleuie4. Moi aussi, j’irai à Kāśi, non pas en pèlerin Foulant une route de sillons, de tourbières et de fossés, Mais tel un prince altier, sur un cheval, Ses larges flancs blancs parés de pièces cuivrées, La pointe de ses oreilles, argentée, et sa queue, couleur de bronze. L’allure fière et royale, je dépasserai les pèlerins sur ma monture Et ils feront l’éloge de ses caracoles ! Oubliant le grand Dieu à la gorge de saphir5, Entouré d’une guirlande de serpent et emprisonné sur un autel ! Qui sait, si avant que mon voyage ne s’achève, Le monde ne construira pas un temple à mon nom Et ne m’adorera pas comme un Dieu. |
1 | L’Être suprême, le Créateur |
2 | Prononcer Kashi (काशि kāśi). Nom de la ville de Kāśi « Cité des lumières » appelé aussi Vārāṇasī (Bénarès). |
3 | Prononcer Brihaspati. Ici, le nom de la foire. « Maître de la force ». The Sanskrit Heritage Site |
4 |
Il s’agit ici de Vithoba (également appelé Vitthala ou Panduranga par les fidèles), divinité hindoue principalement vénérée dans les états du Maharashtra, Karnataka, Goa et Andhra Pradesh. Il est localement considéré comme un avatar de Viṣṇu. Le temple principal qui lui est dédié est situé à Pandharpur, où cette pièce se déroule. On a coutume d’associer Śiva à l’épithète nīla-kaṇṭha (à la gorge bleue). En effet, c’est bien la gorge de Śiva qui a bleui après qu'il a bu le poison [halāhala] issu du barattage de la mer de lait [kṣīrodamathana]. Dans l’ouest de l’Inde, vishnouisme et shivaïsme s’interpénètrent parfois pour générer des images surprenantes, telles qu’ici. |
5 | Vithoba |